Le krumping

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Origines et histoire du krumping

Le krump prend racine dans le contexte socio-culturel bouillonnant du Los Angeles des années 1990. Plus précisément, ses fondations remontent à 1992, peu après les émeutes raciales de Los Angeles, dans le quartier de South Central marqué par la violence des gangs, la drogue et des tensions avec la police. C’est dans ce climat tendu qu’un danseur nommé Thomas « Tommy the Clown » Johnson développe une forme de danse exutoire appelée clowning. Pour divertir et offrir une alternative positive aux jeunes des quartiers, il crée un personnage de clown dansant lors des anniversaires d’enfants. Le clowning se caractérise alors par des mouvements énergiques et loufoques, exécutés en costume de clown et maquillage, avec l’objectif avoué de détourner les jeunes de la violence en leur transmettant des valeurs festives et pacifiques.

Au fil des années 1990, le phénomène du clowning prend de l’ampleur dans les quartiers de Los Angeles. Tommy the Clown organise des « battle zones », des rencontres où des équipes de Hip-Hop Clowns s’affrontent en danse plutôt qu’en violence. Parmi les jeunes formés à son école de danse se trouvent Ceasare « Tight Eyez » Willis et Jo’Artis « Big Mijo » Ratti, deux danseurs dont l’énergie débordante va bientôt dépasser le cadre bon enfant du clowning. A la fin des années 1990, leurs mouvements deviennent plus rugueux, intenses et improvisés, à tel point qu’ils ne conviennent plus aux fêtes pour enfants. Graduellement, les costumes de clown et l’aspect comique sont abandonnés au profit d’un style plus « cru » : c’est la naissance du krump. Le terme krump lui-même provient de l’argot local et a été interprété plus tard comme l’acronyme de « Kingdom Radically Uplifted Mighty Praise » (que l’on peut traduire par « élévation radicale du royaume par une puissante louange »), reflétant la dimension spirituelle que ses fondateurs attribuent à cette danse. Dès ses débuts, le krump se veut un moyen d’expression non-violent malgré l’apparence agressive des mouvements : aucune bataille ne débouche sur un affrontement physique réel, la colère affichée n’est qu’un rôle de scène et un exutoire pour des émotions réelles.

Tight Eyez et Big Mijo sont généralement considérés comme les créateurs emblématiques du krumping, rejoints par d’autres pionniers comme Miss Prissy, Lil’ C ou Dragon. Ensemble, au tout début des années 2000, ils codifient ce nouveau style dans les rues de Los Angeles. Le krump puise ses influences dans les danses hip-hop et funk qui l’ont précédé : on y retrouve l’héritage du breakdance et des danses funk styles, ainsi que l’inspiration de figures emblématiques de la musique afro-américaine comme Michael Jackson ou James Brown dont l’énergie scénique et les mouvements ont marqué les esprits. On parle ainsi d’un mélange de culture hip-hop, de rythmes funk et même d’une certaine théâtralité héritée du disco ou du clowning initial, mais transposée dans un registre beaucoup plus intense. En dépit de ses racines locales, le krump s’inscrit donc d’emblée dans la continuité des mouvements de danse afro-américains, tout en rompant avec le ton festif ou ludique de ses aînés au profit d’une expression plus brute des émotions.

L’essor du krump comme phénomène populaire hors de sa communauté d’origine est en grande partie attribuable à un documentaire marquant : « Rize », réalisé par le photographe et vidéaste David LaChapelle et sorti en 2005. LaChapelle, fasciné par cette danse qu’il découvre en 2002 sur un tournage de clip musical, décide de mettre en lumière l’histoire du clowning et l’émergence du krumping dans ce film. Rize révèle au grand public la puissance expressive de cette danse de rue et le contexte dont elle est issue. A travers des images de battles féroces et de témoignages de danseurs des quartiers de South Central, le documentaire montre comment le krump a permis à une génération de jeunes de « danser pour ne pas tomber sous les balles », c’est-à-dire d’échapper à la fatalité de la violence en canalisant leur rage dans l’art. La sortie de Rize marque un tournant : le krump, jusque-là confidentiel et ancré dans son berceau de Los Angeles, attire soudain l’attention du monde entier. Dès le milieu des années 2000, le mouvement commence à essaimer hors des États-Unis. En France, souvent surnommée la « deuxième patrie du hip-hop » en raison de l’engouement national pour les danses urbaines, le krump fait une entrée remarquée. Des passionnés français se procurent sous le manteau des DVD de Rize ou de vidéos pédagogiques comme How to Krump de Tight Eyez, et tentent de reproduire ces pas explosifs. En 2006, les premiers « sessions » (entraînements et rencontres improvisées) de krump ont lieu à Paris, à La Défense ou Châtelet, initiées par des danseurs motivés. Des figures locales comme Grichka (fondateur du collectif français Madrootz) s’imposent en précurseurs en allant se former directement à Los Angeles auprès des Krump Kings. En l’espace de quelques années, la France, puis l’Europe, voient émerger une scène krump active. Des compétitions dédiées, telles que l’International Illest Battle (premier championnat du monde de krump organisé à Paris en 2013), confirment la diffusion et la popularité grandissante de ce style à l’échelle internationale.

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La place du krump dans la culture hip-hop

Dès sa création, le krump s’affirme comme une branche à part entière de la culture hip-hop, tout en rompant avec certains codes établis. La culture hip-hop, née dans le Bronx dans les années 1970 avec des disciplines phares comme le rap, le breaking, le DJing et le graffiti, a toujours encouragé l’innovation artistique et l’expression des réalités sociales. C’est dans cet esprit que le krump a émergé, bien que dans un tout autre contexte géographique et temporel. Au début des années 2000, le hip-hop mainstream tend à valoriser le divertissement, le style bling-bling et les chorégraphies formatées dans les clips vidéo. Le krump apparaît alors comme un retour aux sources de l’authenticité de la rue : brut, spontané, créé par des jeunes de la marginalité pour exprimer leur vécu sans filtre. Le réalisateur David LaChapelle a d’ailleurs qualifié ces jeunes krumpers d' »alternative » au hip-hop commercial de l’époque, les comparant à un mouvement rebelle au sein de la scène urbaine. Par son intensité et son caractère underground, le krump redonne voix à la colère et à la résilience d’une communauté, occupant ainsi une place singulière au sein du mouvement hip-hop global.

Au-delà de l’aspect spectaculaire, le krump remplit dans sa communauté une fonction sociale et culturelle profonde, ce qui le relie intimement aux valeurs fondatrices du hip-hop. Il sert d’exutoire et de moyen d’expression pour une jeunesse confrontée à la violence et à l’exclusion. La danse y devient un langage alternatif, capable de transformer une énergie négative (colère, frustration, peur) en performance artistique positive. Dans les quartiers difficiles de Los Angeles où il est né, le krump a littéralement sauvé des vies en offrant aux jeunes une issue pour évacuer leur agressivité autrement que par les armes ou la délinquance. Cette dimension quasi thérapeutique et cathartique du krumping s’accompagne d’une véritable philosophie de vie pour ses pratiquants (les krumpers). Le sigle K.R.U.M.P., avec sa connotation religieuse de « louange puissante », souligne la dimension spirituelle que beaucoup attribuent à cette danse : pour certains, « krumper » permet de se rapprocher du divin, de transcender sa condition le temps d’une performance. Ainsi, le krump se vit autant qu’il se danse, comme un moyen d’élévation personnelle.

Dans la culture hip-hop élargie, le krump a initialement souffert d’être mal compris et marginalisé. Durant les premières années de son introduction sur les scènes hip-hop plus traditionnelles, nombre de danseurs de break ou de new style voyaient le krump d’un œil sceptique. Son apparence chaotique et indomptée, en rupture avec les codes techniques classiques, a valu au krump d’être considéré par certains comme une danse « sauvage » ou illégitime. Néanmoins, avec le temps et grâce à l’engouement du public, le regard a changé. Les valeurs véhiculées par le krump sont en réalité alignées avec l’essence du hip-hop : dépassement de soi, affirmation de son identité et respect de l’autre, même dans la confrontation. Les krumpers insistent sur le fait que, derrière les cris et les visages fermés, leur art promeut la solidarité et l’encouragement mutuel. Par exemple, dans un battle de krump, lorsqu’un danseur pousse un rugissement ou un cri (appelé « hype »), c’est moins pour intimider que pour galvaniser son rival et le pousser à donner le meilleur de lui-même. Cette philosophie du battle comme échange respectueux, aussi intense soit-il, rapproche le krump de l’éthique originelle du hip-hop (souvent résumée par la formule « Peace, Unity, Love and Having Fun ») tout en la réinterprétant sous un angle plus brutal et viscéral.

Aujourd’hui, le krump a conquis une légitimité au sein de la grande famille du hip-hop. Ce style « mal-aimé » à ses débuts a su prouver sa richesse technique et artistique. On le retrouve intégré dans les grandes compétitions de danse urbaine, aux côtés du locking, du popping, du breaking, etc. Des écoles de danse hip-hop enseignent désormais le krump, et des chorégraphes l’intègrent à des créations scéniques contemporaines. Fait notable, le krump est même entré sur des scènes prestigieuses : en 2018, par exemple, des krumpers ont performé à l’Opéra Bastille de Paris dans une relecture moderne de l’opéra-ballet « Les Indes galantes », symbolisant la reconnaissance institutionnelle de cette danse de rue. On voit également du krump dans des clips musicaux d’artistes internationaux (par exemple, dans certaines vidéos de Madonna, Missy Elliott, Christina Aguilera ou du groupe électro The Chemical Brothers), preuve que son esthétique a pénétré la pop culture. De plus, la communauté krump s’est organisée globalement en réseaux : des crews et « familles » de krumpers se sont constitués à travers le monde, chacun portant un nom de groupe souvent évocateur (les Ghost, les Ghetto Stylerz, etc…), à l’image des crews de breakdance ou de hip-hop freestyle. Ces familles fonctionnent comme des clans soudés où un danseur expérimenté (Big Homie) prend sous son aile des plus jeunes (Lil Homies) pour leur transmettre les bases et l’esprit du krump. Ce système de mentorat entretient un fort esprit de transmission et de communauté, rappelant une fois de plus la parenté culturelle du krump avec les autres disciplines du hip-hop. Finalement, en l’espace de deux décennies, le krumping est passé du rang de phénomène de quartier à celui de mouvement international reconnu, tout en conservant la flamme de ses origines et sa fonction première : clamer haut et fort, par le geste et le rythme, l’existence d’une jeunesse en quête de voix et de reconnaissance.

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Les caractéristiques du krumping

Gestuelle, techniques et énergie du mouvement

Le krump est avant tout identifiable à sa gestuelle explosive et saccadée, d’une intensité physique hors du commun. C’est une danse essentiellement debout, où le danseur engage tout son corps dans des mouvements rapides, puissants et souvent asymétriques. L’esthétique générale du krumping peut sembler chaotique à un œil novice, tant les gestes sont amples et imprévisibles, mais le style repose en réalité sur un vocabulaire précis et des techniques bien définies. L’une des caractéristiques fondamentales est l’alternance entre tension et relâchement : une partie du corps reste contractée et stable pendant qu’une autre est projetée dans un mouvement fulgurant. De cette base naissent les mouvements signatures du krump, souvent nommés en anglais dans le jargon des danseurs :

Le stomp : frappe du pied au sol, exécutée avec force. Le danseur martèle le sol d’un pas lourd, genoux fléchis, comme pour marquer son territoire et donner le tempo. Ce mouvement ancre le danseur dans le sol et exprime la puissance brute.
Le chest pop : mouvement de poitrine percutant où le buste est projeté violemment vers l’avant ou vers le haut. Le danseur contracte puis libère les muscles du torse, donnant l’impression que sa poitrine bondit en avant en une sorte de convulsion rythmée.
Le arm swing : large balancé de bras mimant un coup ou un jet de projectile. Le bras est lancé avec vitesse et contrôle, coude légèrement plié, poing ouvert ou semi-ouvert, créant une trajectoire circulaire qui peut évoquer un coup de poing porté dans le vide. Une variante plus directe est le jab, coup de bras direct vers l’avant, sec et percutant.

Ces trois éléments constituent la trinité technique de base du krumping. En les combinant, les danseurs créent des séquences chorégraphiques improvisées aux allures de tempête corporelle. La posture générale en krump est souvent légèrement penchée vers l’avant, les jambes fléchies pour faciliter des sauts ou des changements de niveau rapides, et les pieds bien ancrés pour supporter l’impact des stomps. Les bras et les épaules sont particulièrement sollicités : ils peuvent tour à tour fouetter l’air, mimer des enchaînements de coups ou se figer dans des poses tendues. Malgré l’apparente frénésie, un bon krumper contrôle parfaitement son corps : la difficulté réside dans la capacité à déclencher des mouvements très rapides et puissants tout en conservant son équilibre et le rythme imposé par la musique.
L’énergie dégagée par le krump est électrique et communicative. La danse se pratique sur des beats généralement lents mais lourds, empruntés à des musiques hip-hop au tempo marqué (notamment le crunk, un style de rap du Sud des États-Unis aux basses percutantes, a souvent accompagné les premiers krumpers). Ce contraste entre la lenteur relative de la musique et la rapidité des mouvements crée un effet d’accentuation : chaque beat est exploité par un mouvement qui « claque » visuellement, que ce soit un chest pop synchronisé sur un coup de grosse caisse ou un stomp appuyant un break rythmique. Le krump incorpore également des arrêts soudains et des redémarrages, jouant sur le silence ou les syncopes musicales pour surprendre.

Attitude, expression et déroulement des battles

Au-delà des mouvements techniques, le krump se caractérise par une attitude scénique et une expressivité corporelle très marquées. C’est une danse de l’émotion à l’état pur, où le danseur s’investit pleinement, physiquement comme mentalement. L’expression du visage, loin d’être neutre, fait partie intégrante du langage du krump : on voit fréquemment les krumpers adopter des mimiques féroces : sourcils froncés, regard perçant, bouche ouverte criant ou grinçant des dents. Ces grimaces impressionnantes ne sont pas gratuites : elles reflètent l’effort intense fourni et participent à la narration du battle en renforçant l’aura intimidante du danseur. Par exemple, tirer la langue, bomber le torse et fixer son adversaire d’un air défiant sont autant de façons de mettre la pression dans l’arène de danse. Toutefois, il est important de noter que cette agressivité affichée est symbolique : elle fait partie du personnage que le krumper endosse pendant la performance. En coulisses, les mêmes danseurs prônent le respect mutuel et la camaraderie.

Chaque krumper développe en effet un personnage ou une identité scénique propre, souvent nourrie d’influences variées. Certains s’inspirent d’animaux (incorporant par exemple des attitudes félines ou simiesques), d’autres puisent dans l’univers des super-héros, du manga ou même du cinéma pour enrichir leur style. Ce processus de personnalisation fait du krump un art très individuel : au sein d’une même famille de danse, deux krumpers n’auront pas exactement la même approche ni la même signature de mouvement. Le surnom (ou blaze) que se choisit un danseur, ou qui lui est donné par ses pairs, reflète souvent cette identité. Par exemple, un krumper surnommé « Wolf » pourra intégrer à sa danse des mouvements évoquant la rage et la gestuelle d’un loup, tandis qu’un « Ghost » cherchera peut-être à surprendre par des apparitions/disparitions soudaines dans le cercle de danse. Cette théâtralisation renforce la dimension artistique du krump : chaque prestation raconte une histoire, celle du danseur, de son vécu, de son alter ego artistique.

Le battle est le mode d’expression par excellence du krumping. Héritier direct de la tradition des battles hip-hop, le battle de krump oppose deux danseurs (ou deux équipes) l’un contre l’autre dans un cercle formé par le public et les autres danseurs. Le déroulement est généralement freestyle : il n’y a pas de chorégraphie pré-établie, chaque krumper improvise en réaction à la musique et aux mouvements de l’adversaire. Un battle se compose de plusieurs « passes » où chacun danse à tour de rôle pendant un temps court (quelques dizaines de secondes) avant de céder la place, dans un échange spontané. L’ambiance autour du cercle est survoltée : les spectateurs encouragent bruyamment les protagonistes, ponctuant les meilleurs mouvements de cris, d’applaudissements, de coups frappés sur le sol ou les murs. Ce public joue un rôle essentiel en krump, il fait partie du rituel du battle en générant ce qu’on appelle la « hype », une énergie collective qui pousse les danseurs à se surpasser. Il n’est pas rare de voir un battle de krump atteindre un paroxysme où l’émotion est telle que les danseurs et l’assistance entrent dans un état quasi extatique, comparable à une transe. La sueur, les cris, l’intensité du moment créent une atmosphère cathartique unique, d’où chacun ressort vidé mais libéré, comme purgé de ses tensions.
Les battles de krump ont aussi une structure implicite : si aucun juge n’est désigné (dans les battles informels), c’est souvent la réaction du public qui désigne officieusement le vainqueur, celui qui a suscité le plus d’enthousiasme et de stupéfaction par ses moves. Dans les compétitions officielles en revanche, des jurys de danseurs experts départagent les participants en évaluant la musicalité, la créativité, la propreté d’exécution et l’impact visuel de chaque prestation. Mais que ce soit dans la rue ou sur scène, l’esprit reste le même : une confrontation artistique où l’on gagne par la supériorité de son expression, non par l’élimination physique de l’autre. D’ailleurs, un battle de krump se termine souvent par une accolade ou une marque de respect entre les adversaires, preuve que la rivalité était avant tout scénique.

Comparaisons avec les autres styles de danse hip-hop

Le krumping, bien qu’inscrit dans la galaxie des danses hip-hop, présente des différences marquées avec d’autres styles majeurs tels que le breaking, le popping ou le locking. Ces distinctions se manifestent tant au niveau de la technique que de l’esprit de la danse.
Comparé au breakdance (ou breaking), le krump se danse exclusivement debout et ne comporte pas de figures au sol. Le breakdance, né à New York dans les années 1970, est connu pour ses phases acrobatiques (spins, freezes, powermoves) et son ancrage au sol avec la toprock, le downrock et les phases aériennes. Le krump, apparu des décennies plus tard sur la côte Ouest, privilégie au contraire l’impact debout, les sauts et les frappes, sans recours aux rotations sur les épaules ou les appuis sur les mains typiques du breaking. Par ailleurs, musicalement, le breakdance s’exécute traditionnellement sur des morceaux funk ou des breaks de batterie au tempo rapide, tandis que le krump évolue sur des rythmes hip-hop plus lents, lourds et martelés. Le résultat est que le breakdance met en avant la performance physique et la virtuosité acrobatique, là où le krump valorise l’expressivité émotionnelle et la puissance brute. Néanmoins, les deux styles partagent l’esprit de défi et de dépassement de soi inhérent aux battles, ainsi qu’un certain vocabulaire commun hérité du hip-hop (notamment l’importance du rythme et du freestyle).

Face aux styles funk tels que le popping et le locking, le krump affiche également un contraste net. Le popping, apparu en Californie dans les années 1970, repose sur la contraction et décontraction rapide des muscles pour créer l’illusion de saccades (pops) dans le corps, ainsi que sur des effets visuels (ondes, isolations, mouvements robotiques) exécutés avec une grande précision. Le locking, autre style funk de la même époque, se caractérise par des mouvements stoppés net (locks) et une gestuelle expressive, souvent ludique et théâtrale, le tout sur des rythmes funk dynamiques. En comparaison, le krump n’a pas vocation à créer des illusions d’optique ou à jouer la carte de l’humour : il se veut authentique et viscéral. Là où un popper va contrôler chaque muscle pour impressionner par sa technique, le krumper va libérer son corps entier pour impressionner par son intensité. Le locking invite à la jovialité, à l’interaction avec le public sur un mode presque comique (avec des sourires, des high-five, etc…), alors que le krump impose une atmosphère plus grave, comme une colère extériorisée. De plus, les tenues vestimentaires reflètent ces différences : en popping/locking, on a historiquement des vêtements colorés, chapeaux, gants, qui soulignent le style funk et festif, tandis qu’en krump la tenue est souvent sobre, de rue (sweat à capuche, bandana, pantalons larges), pour coller à l’état d’esprit guerrier et sans artifices de la danse. En résumé, le popping et le locking cherchent à « faire le show » avec style et décontraction, alors que le krump cherche à faire ressentir une émotion brute et une énergie furieuse.

Malgré ces contrastes, il faut souligner que le krump et les autres styles de danse hip-hop partagent un socle commun : ce sont des arts nés dans la rue, portés par des communautés souvent marginalisées qui y ont trouvé un moyen d’expression, de reconnaissance et de fierté. Ces danses se nourrissent aussi mutuellement, il n’est pas rare de voir un danseur de hip-hop freestyle intégrer un moment de krump dans sa chorégraphie pour apporter un surcroît d’énergie, ou un krumper emprunter un mouvement de popping pour varier son set. L’écosystème hip-hop est interconnecté, et chaque style, du break au krump, occupe une place particulière tout en contribuant à la richesse du tableau d’ensemble.

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