Le locking

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L’origine du locking

Le locking est un style de danse né à la fin des années 1960 en Californie, dans le contexte des clubs funk et de la communauté afro-américaine de Los Angeles. Son invention est généralement attribuée à Don Campbell, un jeune danseur qui, en tentant d’exécuter des pas de danse à la mode (selon certains le Robot Shuffle, selon d’autres le Funky Chicken), a créé par accident un mouvement inédit. Un jour, Don Campbell marque un arrêt soudain en levant les coudes au milieu d’une danse qu’il ne parvenait pas à reproduire parfaitement. Ce blocage improvisé provoque l’enthousiasme de ses amis, qui lui lancent : « Refais ce lock, Campbell ! » (« lock » signifiant verrouiller ou bloquer en anglais). C’est ainsi qu’est né le « Campbellock », le mouvement de base qui donnera son nom au style locking. Don Campbell intègre rapidement ce verrouillage sec à son style, combinant des arrêts brusques et puissants avec des mouvements rapides et précis. Ce mélange dynamique, agrémenté de gestes expressifs et d’une touche d’acrobatie, pose les fondations d’une nouvelle danse de rue non conventionnelle.

Au début des années 1970, le locking s’épanouit dans un contexte culturel en effervescence. Los Angeles est alors un haut lieu de la musique funk et soul, et la danse de rue devient un moyen d’expression positif pour la jeunesse afro-américaine. Le locking se distingue par son côté festif et théâtral : le danseur interagit avec le public, sourit, joue la comédie. Cette énergie communicative séduit rapidement. En 1971, Don Campbell est recruté comme danseur dans l’émission télévisée Soul Train, un show musical emblématique qui met en avant les talents de danseurs de rue sur les sons funk du moment. Aux côtés de la danseuse Damita Jo Freeman, Don Campbell présente son style de locking au grand public. Ses mouvements originaux et son charisme rendent la danse immédiatement populaire : les téléspectateurs découvrent avec fascination ces gestes saccadés rythmés par la musique funk. Soul Train devient ainsi l’une des premières vitrines du locking, permettant à ce style de se répandre au-delà des clubs de Los Angeles et de gagner en notoriété dans toute l’Amérique.

Plusieurs autres danseurs de Los Angeles, inspirés par Don Campbell, commencent alors à reproduire et à développer le locking. C’est une période de bouillonnement créatif : chacun ajoute sa touche personnelle et invente de nouveaux pas, contribuant à enrichir le vocabulaire de cette danse naissante. Très vite, une communauté de lockers se forme. Don Campbell lui-même fonde en 1972 son premier groupe de danse dédié à ce style, nommé The Campbellock Dancers. Cette troupe originelle fonctionne sur un principe simple : chaque membre danse tour à tour en solo, les autres l’encourageant en arrière-plan. Parmi ces premiers lockers figurent notamment Fred « Mr. Penguin » Berry (connu pour ses mouvements humoristiques au ralenti), Bill « Slim the Robot » Williams (spécialiste du robot, une danse mécanique souvent associée au locking), ou encore Charles « Robot » Washington (pionnier de la danse du robot, qui a influencé le style). Pendant ce temps, dans les clubs de LA tels que le Maverick’s Flat ou le Summit on the Hill, de nombreux danseurs se rassemblent pour échanger des pas de locking et de robot, contribuant à faire évoluer la danse.
Dès ses débuts, le locking attire aussi bien les hommes que les femmes. Un premier groupe 100% féminin, les Toota Woota Sisters, voit le jour au tout début des années 1970. Ces danseuses se font remarquer sur Soul Train et finissent par s’associer à d’autres lockers de la scène locale. Ensemble, ils forment une troupe mixte appelée Creative Generation, puis Something Special, qui participe à des initiatives culturelles comme le Watts Writers Workshop. Ces initiatives, nées dans le sillage des émeutes de Watts de 1965, visent à canaliser l’énergie des jeunes du quartier à travers l’art (écriture, théâtre et danse). Le locking s’inscrit ainsi dès son origine dans un contexte social de reconstruction et de fierté culturelle, offrant une forme d’expression positive après des périodes troubles.

En 1973, Don Campbell fait une rencontre déterminante avec Toni Basil, une danseuse et chorégraphe professionnelle (future chanteuse du hit pop « Mickey »). Séduite par le potentiel du locking, Toni Basil encourage Don à donner une envergure plus grande à sa troupe. Ensemble, ils fondent le groupe The Lockers qui va devenir le crew le plus emblématique de l’histoire du locking. Contrairement aux Campbellock Dancers qui mettaient l’accent sur des solos successifs, The Lockers proposent un véritable spectacle : ils élaborent des chorégraphies de groupe synchronisées tout en préservant des moments où chacun brille en improvisation. Sous la direction artistique de Toni Basil (qui devient la manageuse du groupe), The Lockers gagnent rapidement en visibilité. Ils apparaissent non seulement dans Soul Train, mais aussi dans d’autres émissions prestigieuses comme Saturday Night Live. Leurs passages télévisés, mêlant humour, virtuosité technique et tenues colorées, propulsent le locking sur le devant de la scène internationale. En l’espace de quelques années, cette danse de rue initialement underground conquiert un large public et s’exporte à travers des tournées mondiales du groupe The Lockers. Le locking est officiellement né et sorti de l’ombre : d’une création improvisée dans un campus de Los Angeles, il est devenu un phénomène culturel reconnu.

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La place du locking dans la culture hip-hop

Le locking occupe une place singulière dans la culture hip-hop, en partie parce qu’il est né avant même que le terme hip-hop ne désigne un mouvement culturel global. Historiquement, le locking fait partie des « funk styles », aux côtés de danses comme le popping ou le boogaloo. Ces styles se sont développés à la fin des années 60 et au début des années 70 en Californie, parallèlement à l’émergence du breaking sur la côte Est à New York. A l’époque, on ne parlait pas encore de hip-hop pour décrire ces danses, mais elles partageaient déjà l’esprit de la street dance : créativité, improvisation et expression personnelle sur des musiques urbaines.

Lorsque le mouvement hip-hop s’est structuré par la suite (fin des années 1970 et années 1980), il a naturellement englobé ces styles de danse existants. Le locking, tout comme le popping, a alors été adopté dans la grande famille de la danse hip-hop, aux côtés du breaking. On les a appelés danses debout (par opposition aux danses au sol comme le break) ou funk styles pour souligner leurs racines dans la musique funk. Ainsi, bien qu’il soit né en dehors du Bronx, le locking est aujourd’hui considéré comme l’un des piliers des danses hip-hop. Les historiens de la discipline notent d’ailleurs que les premières compagnies et crews de danse hip-hop incluent des groupes de locking : par exemple, The Lockers sur la côte Ouest ont été tout aussi influents pour le locking que les Rock Steady Crew l’ont été pour le break à New York. Ensemble, ces pionniers ont contribué à populariser la street dance et à la faire reconnaître comme une forme d’art à part entière. Le locking a entretenu des relations étroites avec les autres styles de danse urbaine. Son succès médiatique dans les années 1970 a inspiré de nombreux autres danseurs à innover. On raconte par exemple que Boogaloo Sam, le créateur du popping (un style basé sur des contractions musculaires rapides), a été impressionné en voyant The Lockers danser à la télévision, ce qui l’a motivé à développer son propre style. De même, certains lockers pratiquaient ou incorporaient des mouvements de roboting (danse du robot) et vice-versa, brouillant les frontières entre les styles. Cette effervescence créative a donné lieu à un échange mutuel : le locking a emprunté à d’autres danses (par exemple des pas de soul train ou de claquettes intégrés dans les chorégraphies), et en retour il a légué au vocabulaire hip-hop son goût pour les freezes comiques et l’interaction avec le public.

Sur le plan symbolique et artistique, le locking apporte au mouvement hip-hop une dimension joyeuse, théâtrale et fédératrice. Là où le breakdance peut exprimer l’exploit physique et la combativité, le locking célèbre l’esprit festif du funk et la personnalité de chaque danseur. Un des principes fondamentaux du locking est « Be yourself » : affirmer sa propre identité à travers la danse. Les premiers lockers encourageaient chacun à développer son style individuel plutôt que de copier exactement les mouvements du créateur Don Campbell. Cette emphase sur l’originalité personnelle et la self-expression est en phase avec les valeurs du hip-hop qui valorisent la créativité et la voix de chacun. Le locking se distingue également par son rôle théâtral : les danseurs n’hésitent pas à jouer des sketchs en dansant, à faire rire ou participer le public, ce qui rapproche cette danse de la performance scénique. Cet aspect a contribué à la popularité du locking dans des shows télévisés et sur scène, ouvrant la voie à la reconnaissance des danses de rue dans la culture populaire. On considère souvent que l’apparition des Lockers à la télévision a « changé la face de la danse » en prouvant que la street dance pouvait conquérir le grand public et influencer la scène artistique mainstream.
Aujourd’hui, dans la culture hip-hop mondiale, le locking est solidement intégré et respecté. Il figure parmi les catégories officielles de nombreuses compétitions de danse internationales (aux côtés du popping, du break, du hip-hop new style, etc…). Par exemple, le festival Juste Debout en comporte depuis sa création une catégorie locking qui attire les meilleurs lockers du monde entier. Bien que moins médiatisé que le breakdance, le locking demeure un symbole du patrimoine hip-hop. Les pionniers du locking sont honorés comme des légendes vivantes du mouvement : Don Campbell et Toni Basil, par exemple, ont reçu des récompenses pour leur contribution à la culture hip-hop.

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Caractéristiques techniques du locking

Le locking se caractérise par une technique très reconnaissable, faite de contrastes entre mouvements fluides et arrêts brusques. Le principe central est celui du « lock » (verrouillage) : le danseur effectue un mouvement rapide puis fige instantanément une position, comme s’il était bloqué, avant de reprendre tout aussi soudainement sa danse. Ces arrêts sur image donnent un aspect percussif et surprenant à la performance, en synchronisation étroite avec la musique. Le rhythmique est primordial : le locker utilise le tempo énergique du funk pour caler ses freezes et ses reprises, accentuant souvent les temps forts de la mesure (par exemple en marquant un lock sur le deuxième et le quatrième temps). Le résultat est un style très groovy, où chaque geste semble appuyé par un accent musical.

Visuellement, le locking met en avant des mouvements larges et exagérés. Les bras sont particulièrement sollicités : on voit fréquemment des enchaînements de rotations des poignets, des moulinets de bras, des claquements de mains et bien sûr le fameux geste du pointage du doigt (« point »). Le danseur va pointer du doigt dans différentes directions ou vers le public de manière théâtrale, ce qui crée une connexion directe avec les spectateurs. Pendant que le haut du corps est très expressif, le bas du corps reste en appui souple : les genoux sont légèrement fléchis pour permettre des changements de niveau, des sauts ou des drops (chutes contrôlées). Les déplacements sont souvent simples (pas de deux temps, marches stylisées), car l’attention se porte surtout sur la gestuelle des bras et le buste. La posture typique du locker est d’ailleurs légèrement penchée en arrière avec le buste relevé et le menton haut, exprimant une confiance et une attitude un peu funky. Le danseur peut alternativement adopter un air souriant, complice, ou au contraire un visage sérieux voire moqueur pour accentuer l’effet dramatique de ses mouvements, c’est aussi ça le showmanship propre au locking.

Cette danse possède un vocabulaire technique riche, constitué de nombreux pas et mouvements emblématiques transmis par les pionniers. Parmi les mouvements de base du locking, on retrouve notamment :

Le Lock (Campbellock) : le verrouillage proprement dit. C’est la pose figée emblématique que le danseur tient brièvement après un mouvement rapide. Par exemple, bras repliés, poignets vers le haut, corps immobile comme une statue avant de repartir. Ce mouvement signature, inventé par Don Campbell, est à la base de tous les autres.
Les Points : le danseur pointe du doigt vers le public, un partenaire ou une direction imaginaire, généralement en rythme avec la musique. Ce geste simple est utilisé de manière très expressive pour capter l’attention et jouer avec l’audience. C’est un des codes stylistiques forts du locking, hérité des performances de Don Campbell qui pointait en réponse aux rires du public dans ses premiers shows.
Give Yourself Five (Se donner la tape) : mouvement dans lequel le locker se tape dans la main à lui-même (comme un high-five auto-administré). Popularisé par Don Campbell et Damita Jo Freeman sur Soul Train, ce geste symbolise l’auto-congratulation et la confiance en soi, valeurs importantes dans la culture locking.
Le Scooby-Doo : un pas dynamique inventé par le danseur Jimmy « Scoo B Doo » Foster. Il consiste typiquement à faire un lock en posture de muscle man (biceps fléchis, poings serrés), puis à enchaîner deux coups de pied rapides alternés tout en effectuant un petit saut ou déplacement syncopé. Le Scooby-Doo, souvent exécuté sur des breaks musicaux, demande coordination et sens du rythme. Son nom rend hommage au surnom du danseur qui l’a créé.
Le Stop-and-Go : comme son nom l’indique, ce mouvement joue sur l’alternance d’arrêts et de reprises. Le danseur marque un temps d’arrêt net (stop), puis repart immédiatement sur un autre pas (go). C’est une sorte de mini-chorégraphie en une mesure où l’on suspend le mouvement puis on relance l’énergie. Ce concept de stop-and-go se retrouve dans plusieurs routines de locking pour créer de la surprise.
Le Whichaway : pas de footwork emblématique créé par Leo « Fluky Luke » Williamson. Le whichaway consiste à effectuer un déplacement latéral rapide des pieds en pivotant le corps d’un côté puis de l’autre, tout en balançant les bras. Le danseur lance une jambe sur le côté puis la ramène en pivotant sur lui-même, créant un effet de va-et-vient (which-a-way signifiant « de quel côté »). Ce mouvement, assez complexe à maîtriser, apporte une variété dans le jeu de jambes du locker.
Le Leo Walk : autre pas de déplacement attribué à Fluky Luke. Il s’agit d’une démarche funky en deux temps : le danseur avance un pied avec exagération, puis glisse l’autre pied pour le rejoindre, en donnant une impression de glissade rythmée. Le Leo Walk permet de parcourir la scène tout en restant dans le style caractéristique du locking.
Le Knee Drop (chute sur les genoux) : figure acrobatique fréquemment utilisée en locking, héritée des danseurs de funk et de tap dance. Le danseur se laisse tomber sur les genoux brusquement (parfois en position « W » avec les genoux écartés vers l’intérieur) puis remonte aussitôt. Ce mouvement spectaculaire exige une bonne maîtrise et souvent des genouillères pour se protéger, mais il met le feu au public lorsqu’il est bien exécuté.
Le Split (grand écart) : hérité du rock et du funk (James Brown en était friand), le grand écart latéral ou facial est parfois intégré dans des routines de locking pour ajouter un impact visuel fort. Le danseur descend en split sur un accent musical puis remonte d’un bond, montrant ainsi sa souplesse et sa virtuosité.

En plus de ces mouvements, le locking comporte des handshakes et enchaînements à deux très codifiés. Par exemple, deux lockers peuvent exécuter une poignée de main complexe rythmée de claquements de doigts et de locks simultanés, avant de partir chacun en solo. Ces routines de groupe renforcent l’esprit convivial du locking et étaient la signature des performances de The Lockers dans les années 70. De manière générale, le style impose de toujours revenir à l’attitude funk entre les figures : bouger les épaules, dodeliner de la tête en rythme, avoir ce que les danseurs appellent le groove, c’est-à-dire cette connexion instinctive à la musique qui fait rebondir le corps. Sans groove, le locking perdrait son âme.
Un aspect incontournable des caractéristiques du locking réside dans sa dimension expressive et stylistique. Le code vestimentaire, par exemple, faisait partie intégrante du style dès son origine : les lockers classiques arboraient souvent des tenues colorées et excentriques, pantalons bouffants ou pegged pants arrêtés au-dessous du genou, grandes chaussettes rayées, chemises brillantes à col large, nœuds papillon extravagants, chapeaux type apple cap, et parfois des gants blancs pour faire ressortir les mouvements de mains. Ces vêtements voyants accentuaient le côté visuel des mouvements et contribuaient au personnage scénique de chaque danseur. Aujourd’hui encore, beaucoup de lockers perpétuent ce dress code funky lors des battles ou showcases, en hommage à la tradition. Mais l’élément le plus important du style locking reste l’attitude : une combinaison de confiance, de plaisir communicatif et d’humour. Qu’il fasse un clin d’œil au public, qu’il mime une surprise en plein lock ou qu’il se lance dans un échange effréné avec un partenaire, le locker cherche à raconter quelque chose en dansant. C’est cette combinaison de technique rythmique rigoureuse et d’expression ludique qui fait la richesse du locking et le rend si unique dans la galaxie des danses hip-hop.

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L’évolution contemporaine du locking

Depuis les années 1980 jusqu’à aujourd’hui, le locking n’a cessé de se réinventer tout en préservant son esprit d’origine. Après la dissolution des Lockers, le style a connu une période plus discrète aux États-Unis, éclipsé un temps par la déferlante du breakdance et l’évolution du hip-hop. Cependant, loin de disparaître, le locking a voyagé et s’est transformé.

Un des faits marquants de l’évolution du locking est son essor spectaculaire hors des frontières américaines. Dans les années 1980, des danseurs pionniers comme Tony GoGo ont semé les graines du locking au Japon, où la culture funk trouvait un public enthousiaste. Le Japon a vite adopté et adapté le locking, au point de devenir dans les décennies suivantes l’un des pays avec le plus grand nombre de lockers talentueux. De même, la Corée du Sud a vu émerger une scène locking très dynamique (portée par la vague K-hip-hop et des crews polyvalents), tout comme Taiwan, la Chine ou la Thaïlande, qui organisent leurs propres battles et workshops de locking. En Europe, la danse a pris racine dès la fin des années 90 : la France, grâce à son attrait pour les danses hip-hop debout, a produit des danseurs de classe mondiale et des événements de référence (Juste Debout, mais aussi des battles comme Fusion Concept ou des workshops spécialisés). D’autres pays européens, tels que l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Russie, ont développé des communautés actives de lockers, preuve que le style a une portée universelle. Il n’est pas rare aujourd’hui de voir en finale d’une compétition un duel entre un locker européen et un locker asiatique, illustrant à quel point le locking est devenu un langage commun dans la planète hip-hop.

Avec cette diffusion globale est venue la question de la transmission fidèle des bases du locking. Conscients de la richesse culturelle de leur art, les pionniers et leurs successeurs ont mis l’accent sur l’éducation. Des légendes vivantes comme Don Campbell, Toni Basil, ou d’autres anciens Lockers ont donné des stages et des conférences à travers le monde pour raconter l’histoire du locking et enseigner les fondamentaux. La nouvelle génération de danseurs, de son côté, a créé des plateformes en ligne pour documenter l’histoire, partager des archives et expliquer les techniques de base. On encourage les lockers débutants à « remonter à la source », c’est-à-dire à apprendre des maîtres ou de leurs élèves directs, afin de respecter l’authenticité du style. Cette conscience historique est assez unique dans le milieu des danses urbaines et montre l’attachement de la communauté du locking à ses racines. De nombreux battles de locking modernes commencent d’ailleurs par un hommage aux pionniers, et il n’est pas rare de voir un jury composé de vétérans aux côtés de juges plus jeunes.
Sur le plan créatif, l’évolution contemporaine du locking se traduit par de nouvelles interprétations et fusions stylistiques. Bien que le locking « pur » reste centré sur le répertoire des pas classiques, les danseurs actuels n’hésitent pas à expérimenter. Certains intègrent au locking des éléments d’autres danses : par exemple, introduire une touche de hip-hop new style (mouvements plus fluides empruntés au freestyle des années 90), inclure des isolations corporelles inspirées du popping, voire incorporer des pas de house dance pour varier les transitions. Ces emprunts, lorsqu’ils sont bien maîtrisés, enrichissent le vocabulaire du locking sans le dénaturer. On a ainsi vu apparaître des variations plus aériennes, des locks exécutés au sol, des ralentis extrêmes rendus possibles par une meilleure technique, …

Par ailleurs, les lockers d’aujourd’hui jouent beaucoup sur la musicalité moderne : ils ne dansent pas uniquement sur du funk des années 70, mais aussi sur des remix ou des musiques funk modernes, du hip-hop groovy, et même parfois sur de l’électro-funk. La capacité à freestyler sur des rythmes différents a poussé le style à évoluer en termes de tempo et d’attitude. Par exemple, sur des beats plus lents et marqués, les lockers actuels accentuent davantage les grooves et la propreté des arrêts, tandis que sur des rythmes accélérés, ils peuvent enchaîner des locks plus rapides qu’autrefois. La structure des battles a également amené de l’innovation : dans un format battle 1 contre 1 d’une minute, le danseur doit condenser sa performance, ce qui a encouragé la création de combo originaux et percutants pour impressionner les juges rapidement.
Malgré ces évolutions, la communauté locking insiste sur l’importance de préserver l’essence du style : l’énergie positive, le sens du spectacle et la connexion avec le public. Cette danse reste profondément attachée à ses valeurs d’origine. On retrouve toujours dans les cyphers de locking (cercles de danse) cette ambiance joviale où chacun est applaudi, où l’on se tape dans les mains en rythme et où l’on crie de joie lorsqu’un danseur réussit un mouvement difficile. Le locking d’aujourd’hui est donc le fruit d’un équilibre : respecter la tradition tout en apportant sa touche personnelle.

L’héritage du locking se perçoit largement dans la scène urbaine actuelle. De nombreux chorégraphes de hip-hop intègrent des éléments de locking dans leurs créations pour les clips, les concerts ou les comédies musicales, car ces mouvements apportent une vivacité et un côté ludique immédiatement identifiables. Par exemple, le simple fait de pointer du doigt ou de faire un freeze comique au milieu d’une chorégraphie de street dance est un clin d’œil direct à l’esthétique locking. Des artistes contemporains de pop ou de hip-hop mettent parfois en scène des danseurs réalisant des locks dans leurs shows, perpétuant ainsi la visibilité de cette danse. Par ailleurs, l’approche du locking, encourager chaque danseur à développer son propre personnage scénique, a influencé la manière dont les danseurs hip-hop construisent leur style : on parle souvent de character dans les battles, idée héritée en partie des premiers lockers qui étaient de véritables personnages (le robot, le pingouin, …).
Aujourd’hui, le locking continue d’inspirer de nouvelles générations qui y voient bien plus qu’une danse rétro. C’est une discipline vivante, qui évolue au fil des rencontres internationales, des innovations musicales et de la créativité sans cesse renouvelée de ses pratiquants. Des projets récents, comme l’inclusion de danses urbaines dans des événements officiels (par exemple le breakdance aux Jeux Olympiques de 2024, où le locking a été présenté en démonstration lors de festivals culturels liés aux JO), montrent que les danses de rue gagnent en reconnaissance. Le locking, avec son histoire riche de plus d’un demi-siècle, en fait pleinement partie.