Le popping

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Origine et histoire du popping

Le popping est un style de danse né dans les communautés afro-américaines de Californie dans les années 1970. Officiellement, la création du popping est attribuée à Sam « Boogaloo Sam »Solomon, fondateur du groupe Electric Boogaloos, vers 1977-1978. Boogaloo Sam, inspiré par les danseurs de Soul Train et par le style « locking » des Lockers, développe alors une nouvelle danse basée sur des contractions brusques des muscles en rythme. Il forme avec son frère Popin’ Pete (Timothy Solomon) et d’autres danseurs la troupe des Electric Boogaloos, qui popularisera ce style naissant à travers des shows télévisés comme « Soul Train » à la fin des années 1970.

Cependant, l’histoire du popping est plus complexe : une danse très similaire existait déjà au début des années 1970 dans les rues de San Francisco et d’Oakland sous le nom de « boogaloo ». Des groupes locaux (par exemple, Close Encounters of the Funkiest Kind) pratiquaient des mouvements de robot et de strutting bien avant l’émergence officielle du popping. Il est donc difficile de désigner un créateur unique, car ces techniques ont évolué de façon communautaire, transmises et améliorées par de nombreux danseurs de rue anonymes. Certains pionniers de la Bay Area revendiquent ainsi une origine années 1960 à Oakland pour le boogaloo, distinct du popping de la ville de Fresno. Popin’ Pete lui-même reconnaît l’existence de ces styles d’Oakland, tout en soulignant qu’ils sont différents de l’Electric Boogaloo de Fresno. Durant les années 1980, le popping (appelé alors « funk styles » avec le locking) s’intègre pleinement à la culture hip-hop émergente. Aux États-Unis, il côtoie le breaking (breakdance) et d’autres danses de rue dans les battles et shows, même s’il s’en distingue par son origine funk californienne. En France, le popping est initialement connu sous le nom de « smurf » au début des années 1980. Popularisé par l’émission télévisée H.I.P. H.O.P. de Sidney et les après-midis dansants de DJ Chabin, le « smurf »désigne alors la danse debout robotique sur fond de funk ou de rap. Toute une terminologie française apparaît : par exemple pop pour « blocage », waving pour « ondulation », tutting pour « tetris », etc… Ce n’est qu’à la fin des années 1990, avec la venue des Electric Boogaloos en Europe, que les termes originaux (popping, waving, etc…) supplantent progressivement le vocabulaire « smurf ». La tournée des Electric Boogaloos en 1998 en France rappelle que Boogaloo Sam a créé la danse à Fresno à la fin des 70s, et contribue à réorienter la pratique française vers le style boogaloo authentique. Depuis, le mot smurf est tombé en désuétude au profit de popping, et le style s’est propagé mondialement.

Notons que le popping est une danse debout (stand-up dance) et qu’il ne doit pas être confondu avec le breakdance, style new-yorkais au sol apparu à la même époque. Contrairement aux breakers (b-boys/b-girls) qui enchaînent figures acrobatiques au sol, les poppers évoluent principalement debout en jouant sur l’effet visuel de leurs isolations et saccades. Néanmoins, popping et breakdance ont souvent coexisté dans les mêmes cercles et événements, tous deux faisant partie intégrante des danses hip-hop des années 1980.

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La place du popping dans la culture hip-hop

Le popping occupe une place de choix parmi les danses de la culture hip-hop, aux côtés du breaking, du locking, du waacking, et bien d’autres. Bien qu’issu à l’origine de la musique funk, le popping a influencé l’esthétique des danses hip-hop apparues ensuite. En effet, ce style est né juste avant l’avènement du hip-hop old school, et a contribué à forger la tradition des styles de danse hip-hop qui suivront. Aujourd’hui, il est pleinement reconnu comme l’une des disciplines « Street dance » majeures, enseigné dans les écoles de danse hip-hop et présent dans les compétitions internationales.
Une caractéristique fondamentale de la culture hip-hop est le battle, affrontement amical où les danseurs improvisent tour à tour. Le popping s’y prête particulièrement bien : les poppers s’affrontent en freestyle, cherchant à surpasser l’adversaire à coups de hits précis et d’effets spectaculaires, le tout sous les acclamations du public. Historiquement, les battles de popping se sont développés dès la fin des années 70 en Californie avant de s’étendre partout dans le monde. L’improvisation est centrale, chaque danseur redoublant de créativité pour coller à la musique et surprendre par son style. Cette pratique du battle a contribué à faire évoluer le popping en intégrant de nouveaux mouvements et en enrichissant sa diversité.

Intégré au mouvement hip-hop, le popping a également su s’adapter aux musiques urbaines. Dans les années 1980, les poppers dansaient non seulement sur du funk mais aussi sur les premiers morceaux electro (Kraftwerk, Egyptian Lover, etc…) et sur le rap naissant. Des titres hip-hop comme « The Smurf »de Tyrone Brunson ou « Jam On It »de Newcleus faisaient fureur dans les soirées, offrant un tempo idéal pour les danseurs. Cette capacité d’adaptation a permis au popping de rester pertinent dans la culture hip-hop au fil des décennies. Aujourd’hui encore, on voit des poppers évoluer sur du rap, du R&B et même des beats trap ou crunk, en plus des sons funk originels. Le popping se fond donc parfaitement dans le paysage des danses hip-hop, apportant son esthétique unique basée sur l’illusion visuelle et le rythme précis, tout en partageant avec les autres styles le goût du défi, du groove et de l’expression personnelle.

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Caractéristiques techniques du style popping

Le principe de base du popping est la contraction et décontraction rapide des muscles en synchronisation avec le rythme musical. Cette contraction brusque, appelée hit ou pop, provoque un petit à-coup visuel dans le mouvement du danseur. En répétant continuellement ces hits sur les temps (souvent sur la caisse claire ou le clap), le popper crée l’illusion d’un corps parcouru par une énergie électrique au gré de la musique. Le beat, généralement un tempo funk ou hip-hop autour de 90–120 BPM, sert de repère pour placer ces contractions au millisecond près, ce qui exige une grande précision et une excellente musicalité du danseur.

Trois concepts fondamentaux structurent le style popping : les hits, les isolations et les angles.

Hits : Ce sont les fameux blocages musculaires effectués sur un accent sonore. Le danseur contracte simultanément ou successivement différents groupes musculaires (bras, cou, poitrine, jambes…) pour marquer les temps forts de la musique. Un bon popper sait varier l’intensité et la localisation de ses hits pour épouser les nuances du morceau.
Isolations : Héritées du roboting (danse du robot popularisée par les mimes), les isolations consistent à bouger une partie du corps indépendamment du reste, comme si les articulations étaient déconnectées. Coupler des isolations extrêmes avec des mouvements fluides donne cette impression que le danseur est mécaniquement désarticulé. Par exemple, le mouvement du neck-o-flex isole la tête du buste en la faisant pivoter à 180° comme si elle était sur roulement. Les isolations sont essentielles pour tous les effets de style du popping, du robot aux waving.
Angles : Le popping valorise des positions angulaires nettes et esthétiques, en particulier dans la technique du tutting (aussi appelée « Tetris »en France). Les danseurs forment des angles droits avec leurs bras, coudes et poignets, rappelant les figures des fresques égyptiennes, d’où le nom en référence au pharaon King Tut. Un bon sens des angles permet d’enchaîner des poses géométriques saisissantes, renforçant l’effet visuel lors des arrêts sur hits.
En pratique, le style popping englobe un large éventail de mouvements et de sous-styles, combinés par les danseurs pour enrichir leurs performances. Parmi les mouvements de base, on peut citer le Fresno (pas de base alternant transfert de poids et contraction, originaire de Fresno), le Twisto-Flex et le Neck-O-Flex (torsions successives de différentes parties du corps), ou encore le Walk-Out (déplacement groové avec hits). Des techniques de glisse (gliding/floating) permettent de donner l’illusion que le danseur flotte sur le sol : le célèbre moonwalk (ou backslide) popularisé par Michael Jackson en est un exemple emblématique issu du popping.
Le popping se caractérise aussi par ses effets d’illusion, et les poppers excellent à mêler différents sous-styles pour amplifier cet aspect. On retrouve notamment :
Le Robot : Style imitant les mouvements mécaniques d’un robot. Le danseur exécute des actions décomposées, raides et contrôlées, avec des stops nets comme une machine. Le robotting pur ne requiert pas forcément de hits, mais les poppers l’intègrent souvent à leurs routines pour accentuer l’illusion. Ce style, très visuel, était souvent le plus accessible au grand public et a fait connaître le popping dans les années 80.
Le Waving : Il s’agit de créer des vagues continues à travers le corps. Par une succession d’isolations fluides (doigt, poignet, coude, épaule, torse, etc…), le danseur donne l’impression qu’une onde se propage dans ses membres. Le waving apporte une dimension très fluide et gracieuse au popping, contrastant avec les hits plus saccadés.
Le Boogaloo : Sous-style originel d’Oakland, le boogaloo se caractérise par des mouvements roulés et des rotations d’articulations (hanches, genoux, cou, épaules) donnant l’impression d’un corps sans os. Popularisé par les Electric Boogaloos, il se combine parfaitement avec les hits du popping. Là où le popping « frappe »les muscles, le boogaloo lui « ondule »les articulations sur le rythme funk.
Le Tutting (Tetris) : Style focalisé sur les figures angulaires avec les bras et les mains. Le danseur enchaîne des combinaisons de formes géométriques (carrés, angles à 90°) en rythme, évoquant les hiéroglyphes égyptiens. Le finger tutting (tutting avec les doigts) pousse encore plus loin la dextérité.
Le Strutting/Filmore : Originaire de San Francisco, ce style incorpore des poses inspirées des positions militaires (saluts, marches) en y ajoutant des isolations et des mini-hits. Le Filmore se danse souvent sans forcer les hits à chaque temps, privilégiant le style et l’attitude.
Le Liquid & Digits : Styles plus récents (années 1990) nés dans la scène des raves, où le danseur trace des formes fluides avec ses bras et mains, comme s’il manipulait un liquide imaginaire ou des rayons de lumière avec ses doigts. Le liquid s’est combiné au pop pour donner le liquid pop, preuve de l’adaptabilité du popping à des univers musicaux électroniques plus psychédéliques.

Le popping est un style riche et multidimensionnel. Il peut être dur, percussif et mécanique par moments, puis devenir incroyablement fluide et créatif l’instant d’après. Cette palette technique offre aux danseurs un vaste terrain d’expression, où chacun peut développer sa signature en mixant de multiples techniques selon sa sensibilité. L’entraînement d’un popper vise autant à affiner le contrôle du corps (précision des contractions, amplitude des mouvements) qu’à cultiver l’écoute musicale et l’originalité des combinaisons de mouvements.

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Evolution contemporaine du popping

Plus de quatre décennies après sa naissance, le popping continue d’évoluer et de se réinventer. Musicalement, s’il reste indissociable du funk (Zapp, Dazz Band, Cameo, etc…), il a su s’adapter aux sons modernes. A la fin des années 1990 et surtout dans les années 2000, l’essor de la music électronique et notamment du dubstep a donné un second souffle au popping. De nombreux danseurs ont adopté ces rythmes saccadés et basses vibrantes pour y caler leurs hits et leurs effets animation, ce qui a rendu le popping de nouveau très « tendance »pour le grand public. Des vidéos de poppers dansant sur du dubstep (tels que Marquese « Nonstop » Scott sur Pumped Up Kicks en 2011) sont devenues virales sur YouTube, accumulant des centaines de millions de vues et exposant une nouvelle audience à ce style. Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir du popping dans les clips de musique hip-hop ou pop, dans les publicités, et sur les plateaux de shows télévisés de danse, preuve de son intégration dans la culture mainstream.

Techniquement, le vocabulaire du popping s’est enrichi au contact d’autres danses urbaines. On voit apparaître des fusions hybrides : par exemple le « popping new style », mélange de popping et de hip-hop new style, ou encore le « animation »pure qui incorpore des techniques de mime et d’illusions visuelles toujours plus poussées (arrêts sur image, ralentis extrêmes, puppet …). Par ailleurs, certaines tendances initialement extérieures au funk ont été absorbées : le « liquid » des ravers, le « digits » (mouvements complexes des doigts) ou le « turfing » d’Oakland se sont mêlés au vocabulaire popping pour créer des performances inédites. Le résultat est un style en constante mutation, qui garde ses racines (le hit, le groove funk) tout en explorant de nouveaux territoires artistiques.
La scène compétitive du popping s’est également structurée à l’échelle mondiale. Des battles spécifiques popping sont organisés dans presque chaque pays, et des événements internationaux comme le Juste Debout à Paris ou le Summer Dance Forever à Amsterdam consacrent une catégorie entière à cette danse. Ces rencontres ont stimulé un haut niveau de créativité et de technicité : les champions actuels repoussent les limites en termes de précision des hits, de complexité des combinaisons (par exemple en enchaînant des séquences de tutting millimétrées avec des glides impeccables) et d’originalité des concepts (utilisation d’accessoires, thématiques scénographiques, etc…). Le Français Nelson, le Canadien Greenteck, le Coréen Hoan ou le Thaïlandais Dor Mobius figurent parmi les poppers contemporains les plus respectés pour leur inventivité.

Le popping demeure un pont entre les générations dans la culture hip-hop. Les pionniers des années 70-80, tels que Popin Pete ou Boogaloo Sam, enseignent encore à travers le monde via des stages et ateliers, assurant la transmission de l’histoire et des techniques originelles. Parallèlement, la jeune garde perpétue l’héritage tout en apportant un regard neuf, notamment grâce aux échanges facilités par internet et les réseaux sociaux. Cette dynamique intergénérationnelle fait que le popping d’aujourd’hui rend hommage à ses racines funk tout en intégrant les influences actuelles. Danse d’hier, d’aujourd’hui et de demain, le popping a prouvé sa capacité à se renouveler sans cesse, confirmant son statut de style incontournable de la culture hip-hop mondiale, aussi bien apprécié des puristes que du grand public.