Histoire du ballet :
Origines Renaissance (1400-1600)

Les fondements italiens de la danse de cour (début XVe siècle)

Au début du XVe siècle, plus précisément dans les premières décennies des années 1400, la danse qui donnera naissance, bien plus tard, au ballet classique se développe principalement en Italie, au cœur des cours princières. L’Italie de cette période, entre 1400 et 1450 environ, n’est pas un État unifié mais un ensemble de cités puissantes comme Florence, Milan, Ferrare, Mantoue ou Urbino, gouvernées par des familles influentes telles que les Médicis ou les Este. Dans ces cours, la danse occupe une place centrale dans la vie sociale et politique. Elle est pratiquée lors des mariages princiers, des fêtes religieuses, des entrées solennelles et des grandes célébrations officielles. À cette époque, danser n’est pas une activité secondaire mais un véritable marqueur social. Les nobles eux-mêmes participent aux danses, et savoir danser avec élégance est considéré comme indispensable pour toute personne appartenant à l’élite au cours du XVe siècle.

Cette pratique de la danse s’inscrit dans le contexte intellectuel et artistique de la Renaissance italienne, qui s’étend approximativement du XIVe au XVIe siècle, avec un essor particulièrement fort au XVe siècle. Les penseurs humanistes, actifs dès la fin du XIVe siècle et tout au long des années 1400, redécouvrent les textes de l’Antiquité grecque et romaine. Ils valorisent l’être humain, son intelligence et son corps, et cherchent à retrouver l’idéal d’harmonie présent dans la culture antique. Cette nouvelle vision influence directement la danse de cour. Le corps n’est plus perçu comme un simple support du mouvement, mais comme un instrument noble, capable d’exprimer l’équilibre, la mesure et la beauté. La danse doit être ordonnée, claire, lisible, et surtout en accord avec la musique. Dès le début du XVe siècle, on attend du danseur qu’il maîtrise son corps et son énergie, qu’il respecte le tempo musical et qu’il exprime une forme d’harmonie générale, annonçant déjà certains principes fondamentaux de la danse classique.

Domenico da PiacenzaAutour des années 1420 à 1450, que la figure du maître à danser s’impose progressivement en Italie. Pour la première fois dans l’histoire occidentale, certains artistes se consacrent presque exclusivement à l’enseignement de la danse et à sa réflexion théorique. Ils travaillent dans les cours princières, forment les nobles, organisent les bals et conçoivent les danses présentées lors des grandes festivités. Leur rôle ne se limite pas à montrer des pas, mais consiste à transmettre une véritable culture du mouvement, fondée sur la musique, la posture et la maîtrise de soi. La danse devient ainsi une discipline structurée, reposant sur un apprentissage précis et progressif, bien avant son entrée sur la scène théâtrale.

Parmi ces maîtres à danser, Domenico da Piacenza, né vers 1400 et actif principalement entre les années 1420 et 1460, occupe une place fondatrice. Il travaille pour plusieurs cours italiennes, notamment celle de Ferrare, et est souvent considéré comme le premier grand théoricien de la danse occidentale. Dans ses écrits et son enseignement, Domenico insiste sur la nécessité de comprendre la danse dans sa relation étroite avec la musique. Il affirme que le danseur doit posséder un sens précis du rythme, une bonne mémoire des enchaînements et un contrôle conscient de son corps. La danse doit être mesurée, équilibrée et adaptée au caractère de la musique. Cette conception, formulée au milieu du XVe siècle, pose des bases durables que l’on retrouvera encore dans la danse classique plusieurs siècles plus tard.

Les élèves de Domenico contribuent largement à la diffusion de ces principes tout au long de la seconde moitié du XVe siècle. Antonio Cornazzano, né vers 1430 et actif jusqu’aux années 1480, est à la fois danseur, écrivain et poète. Dans ses traités, rédigés autour des années 1450-1470, il développe une vision de la danse qui dépasse la simple technique. Pour lui, la danse est liée au comportement, à l’éducation et à la morale. Un bon danseur doit faire preuve de retenue, de grâce et de dignité. La manière de danser reflète la manière d’être. Cette idée, très présente dans la pensée humaniste du XVe siècle, renforce le statut de la danse comme art noble, capable d’exprimer l’équilibre intérieur de l’individu.

Un autre élève de Domenico, Guglielmo Ebreo da Pesaro, né vers 1420 et actif jusqu’à la fin du XVe siècle, joue également un rôle majeur dans cette période. Converti au christianisme dans les années 1460, il est connu sous le nom de Giovanni Ambrosio. Il travaille pour différentes cours italiennes et rédige des traités importants entre les années 1460 et 1480. Dans ses écrits, il décrit avec précision les danses pratiquées à son époque, les pas, les attitudes du corps et le comportement attendu du danseur. Il accorde une attention particulière à la posture, au port du buste, au regard et à la relation avec les partenaires. À travers cette approche, la danse commence à se rapprocher d’une forme de représentation codifiée, dans laquelle le danseur est conscient d’être observé, annonçant ainsi les futurs développements scéniques de la danse.

Ainsi, entre environ 1400 et 1500, la danse de cour italienne pose des fondations essentielles pour l’histoire du ballet. Durant ce XVe siècle, elle devient une pratique organisée, réfléchie et transmise par des maîtres, étroitement liée à la musique et à une conception harmonieuse du corps héritée de l’humanisme. Même si le ballet classique, tel qu’il se développera en France à partir du XVIe et surtout du XVIIe siècle, n’existe pas encore, les principes fondamentaux qui le structureront sont déjà présents. Ces idées, élaborées dans les cours italiennes du XVe siècle, voyageront progressivement vers la France à partir de la fin du XVe et du début du XVIe siècle, où elles seront transformées, enrichies et institutionnalisées, ouvrant la voie à la naissance du ballet de cour puis de la danse classique.

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Codification et théorisation de la danse

C’est dans ce contexte que la danse commence à être codifiée. Les pas, les figures et les déplacements ne sont plus laissés au hasard : ils répondent à des règles précises, partagées par tous ceux qui pratiquent. Les danseurs apprennent à reconnaître des pas récurrents, à les enchaîner avec logique et à occuper l’espace de manière organisée. Cette codification permet une meilleure transmission : un même pas peut être reconnu, répété et enseigné d’une cour à l’autre. Le vocabulaire de la danse se stabilise progressivement, même s’il reste encore très différent de celui du ballet classique que l’on connaît aujourd’hui. La volonté de structurer la danse se manifeste aussi par l’apparition des premiers traités de danse. Dès le milieu du XVe siècle, des maîtres à danser italiens comme Domenico da Piacenza, puis ses élèves Antonio Cornazzano et Guglielmo Ebreo, rédigent des textes destinés à expliquer comment danser. Ces ouvrages, écrits entre les années 1450 et 1480, décrivent les pas, les figures, les rythmes et les attitudes du corps. Ils expliquent aussi le lien étroit entre musique et mouvement, insistant sur la mesure, la mémoire et l’élégance. Pour la première fois, la danse devient un savoir théorique autant qu’une pratique physique. Ces traités jouent un rôle essentiel : ils fixent des règles communes et donnent à la danse une légitimité intellectuelle. La danse n’est plus seulement quelque chose que l’on imite en regardant les autres ; elle peut être étudiée, lue, comprise. Cette mise par écrit marque une étape majeure dans l’histoire du ballet, car elle ouvre la voie à une tradition pédagogique structurée. Même si ces textes restent réservés à une élite cultivée, ils témoignent d’un changement profond dans la manière de penser la danse. Au cours de la Renaissance, on distingue aussi clairement deux grandes catégories de danses : les danses basses et les danses hautes. Les danses basses, très répandues au XVe siècle, se caractérisent par des pas glissés, proches du sol, sans sauts. Elles privilégient la retenue, la fluidité et la continuité du mouvement. Le buste reste droit, les gestes sont mesurés, et l’ensemble donne une impression de calme et de noblesse. Ces danses correspondent parfaitement à l’idéal de maîtrise du corps recherché dans les cours aristocratiques. À l’inverse, les danses hautes gagnent en popularité à la fin du XVe siècle et surtout au XVIe siècle. Elles introduisent des pas plus vifs, des élévations, des petits sauts et des changements rapides de direction. Le corps devient plus dynamique, plus expressif. Cette évolution reflète un goût croissant pour la virtuosité et l’énergie, tout en restant encadrée par des règles précises. La coexistence de ces deux types de danses montre que la danse de la Renaissance explore déjà différentes qualités de mouvement, entre retenue et éclat. Peu à peu, ces pratiques italiennes voyagent vers la France, notamment grâce aux mariages princiers et aux échanges culturels. Un moment clé se situe en 1533, lorsque Catherine de Médicis, issue de la puissante famille florentine des Médicis, épouse le futur roi Henri II. Elle apporte avec elle le goût italien pour les spectacles dansés et les fêtes élaborées. Cette influence contribuera à l’essor des grands ballets de cour français à la fin du XVIe siècle, tout en s’appuyant sur les bases posées durant la Renaissance. Ainsi, entre 1400 et 1600, la danse passe d’une pratique sociale raffinée à un art progressivement structuré. La codification des pas, la rédaction des traités et la distinction entre danses basses et danses hautes posent les fondations d’un langage chorégraphique commun. Sans être encore le ballet classique, la danse de la Renaissance en constitue un socle essentiel, en donnant au corps dansant des règles, une mémoire et une place centrale dans la culture européenne.
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La danse comme art du spectacle à la cour italienne

Dans les cours italiennes de la Renaissance, entre le milieu du XVe siècle et la fin du XVIe siècle, la danse prend une place nouvelle comme véritable art du spectacle. Elle ne se limite plus à être regardée de près par les participants eux-mêmes, mais elle est pensée pour être vue, comprise et admirée par un public. À Florence, Ferrare, Mantoue ou Milan, les grandes familles princières organisent des fêtes somptueuses à l’occasion de mariages, d’entrées solennelles ou de visites diplomatiques. Ces célébrations, particulièrement nombreuses entre les années 1450 et 1600, mêlent musique, poésie, décors, costumes et danse dans une même mise en scène, donnant naissance à des spectacles de cour de plus en plus élaborés. La danse y occupe une fonction centrale. Elle devient un moyen de montrer la richesse, la puissance et le raffinement du prince qui reçoit. Les danseurs, souvent des nobles eux-mêmes, évoluent dans des espaces soigneusement préparés, parfois à l’intérieur des palais, parfois dans des cours ou des jardins transformés pour l’occasion. Les entrées des danseurs, leurs déplacements et leurs sorties sont organisés avec précision, afin de créer un effet visuel clair pour les spectateurs. La danse n’est donc plus seulement une suite de pas, mais une action qui se déploie dans l’espace et dans le temps, au service d’un spectacle global. Les déplacements sont alors pensés comme de véritables parcours scéniques. Les danseurs se déplacent en lignes, en cercles ou en figures complexes, visibles depuis un point de vue frontal ou surélevé. Cette manière d’occuper l’espace s’inspire directement des arts visuels et de l’architecture de la Renaissance. À partir du XVe siècle, les artistes et les savants redécouvrent les règles de la perspective et de la géométrie héritées de l’Antiquité. Ces principes influencent la danse, qui cherche elle aussi l’équilibre, la symétrie et l’harmonie. Les figures tracées par les corps rappellent les plans des villes idéales ou les dessins géométriques chers à cette période. L’architecture des lieux de spectacle joue un rôle essentiel dans cette évolution. Les grandes salles de palais italiens, conçues selon des proportions rigoureuses, imposent une organisation précise de l’espace. Les danseurs doivent s’y adapter, en tenant compte des axes, des profondeurs et des points de fuite. Peu à peu, la danse dialogue avec l’espace architectural, renforçant l’idée que le corps en mouvement fait partie d’une composition d’ensemble. Cette relation entre danse, géométrie et regard du spectateur annonce déjà une pensée scénique qui sera fondamentale pour l’histoire du ballet. Les costumes et les masques participent pleinement à cette dimension spectaculaire. Dès la fin du XVe siècle, ils ne servent pas uniquement à embellir les danseurs, mais à leur donner une identité précise. Les masques, très présents dans les fêtes italiennes, permettent d’incarner des personnages mythologiques, des allégories ou des figures symboliques. Un danseur peut ainsi représenter une vertu, une saison, une planète ou un dieu antique, des thèmes très appréciés dans la culture humaniste de la Renaissance. Le public, familier de ces références, comprend le sens général du spectacle sans qu’il soit nécessaire de parler. Les costumes, souvent riches et colorés, accentuent les mouvements et renforcent la lisibilité des danses. Ils sont conçus pour être vus de loin et pour dialoguer avec les décors. Entre 1500 et 1600, cette attention portée à l’apparence visuelle transforme la danse en un art profondément lié au regard. Le mouvement du corps, le trajet dans l’espace et l’image produite par les costumes forment un tout indissociable.

Diffusion de la danse renaissante en France (fin XVe – début XVIe siècle)

À la fin du XVe siècle, la danse de la Renaissance commence à se diffuser en France dans un contexte de profonds échanges culturels avec l’Italie. Depuis le début des années 1400, les cours italiennes jouent un rôle central dans l’invention de nouvelles formes de danse, plus organisées, plus élégantes, pensées pour être vues autant que pratiquées. Ces danses quittent peu à peu le simple cadre du divertissement spontané pour devenir un art social codifié, associé au raffinement, à l’éducation du corps et à l’affirmation du pouvoir. La France, alors engagée dans les guerres d’Italie entre 1494 et 1559, découvre directement ces pratiques à travers les contacts diplomatiques, militaires et artistiques. Les nobles français observent, imitent et rapportent ces usages, contribuant à leur implantation progressive sur le territoire français dès les dernières années du XVe siècle.

Cette diffusion ne se fait pas de manière abstraite, mais à travers des événements très concrets de la vie de cour. Les mariages princiers, les entrées royales, les fêtes célébrant des alliances ou des victoires sont autant d’occasions de spectacles où la danse occupe une place centrale. À la fin du XVe et au début du XVIe siècle, ces fêtes deviennent de plus en plus élaborées. Elles mêlent musique, poésie, décors, costumes et déplacements chorégraphiés. La danse n’y est plus seulement un moment de plaisir partagé, mais un langage symbolique. Les corps en mouvement traduisent l’harmonie du monde, l’ordre social et la puissance du prince. Participer à ces danses signifie appartenir à l’élite, savoir se tenir, se déplacer avec grâce et précision. La danse devient ainsi un marqueur social essentiel dans les cours françaises du début du XVIe siècle.

Catherine de MédicisC’est dans ce contexte que l’année 1533 marque une étape décisive avec l’arrivée de Catherine de Médicis en France. Issue de l’une des plus grandes familles italiennes, elle épouse le futur roi Henri II et apporte avec elle une culture artistique profondément marquée par la Renaissance italienne. Catherine de Médicis a grandi dans un univers où la danse, la musique et les spectacles font partie intégrante de la vie politique et culturelle. Dès les années 1540 et surtout à partir de son rôle de reine puis de régente, elle encourage activement l’organisation de fêtes spectaculaires à la cour de France. Ces événements ne sont jamais gratuits : ils servent à impressionner, à affirmer l’autorité royale et à renforcer l’unité du royaume dans une période troublée par les tensions religieuses.
Sous son impulsion, la danse prend une nouvelle dimension. Elle s’intègre à des spectacles complexes, pensés dans leur ensemble, où chaque élément est organisé à l’avance. Les pas, les figures, les déplacements collectifs sont préparés avec soin. On ne parle pas encore de danse classique au sens moderne, mais on voit apparaître une volonté de structurer le mouvement, de l’inscrire dans l’espace et de le relier étroitement à la musique. Ces spectacles de cour, qui se développent surtout dans la seconde moitié du XVIe siècle, posent les bases de ce que l’on appellera bientôt le ballet de cour.

L’introduction du ballet de cour en France se fait donc progressivement, entre les années 1550 et la fin du XVIe siècle. Le point culminant de cette évolution est souvent situé en 1581 avec le Ballet comique de la Reine, présenté au Louvre lors des fêtes de mariage du duc de Joyeuse. Ce spectacle, qui dure plusieurs heures, raconte une histoire suivie, mêlant danse, chant, musique et décors, et mobilise des participants issus de la noblesse elle-même. Il illustre parfaitement l’idée nouvelle selon laquelle la danse peut servir un récit et une intention politique, tout en restant un art du mouvement et de la beauté du corps.

À travers cette évolution, la France ne se contente pas d’imiter l’Italie. Elle transforme et adapte ces pratiques, leur donnant une place centrale dans la vie de cour. La danse devient un outil d’éducation, de représentation et de pouvoir. Ce long processus, amorcé à la fin du XVe siècle et structuré tout au long du XVIe siècle, prépare le terrain à la codification plus stricte qui aura lieu au XVIIe siècle. Sans cette diffusion renaissante, portée par les fêtes de cour, les alliances princières et l’action déterminante de Catherine de Médicis, le développement ultérieur du ballet en France n’aurait pas été possible.

Vers une forme chorégraphique structurée (XVIe siècle)

Dans les cours princières, notamment en Italie puis en France, les fêtes chorégraphiées connaissent un essor remarquable dès le début du XVIe siècle. C’est ainsi que se développent les ballets à entrées, formes emblématiques de la Renaissance tardive. Apparus au cours du XVIe siècle et pleinement établis à la fin de celui-ci, ces ballets sont composés de plusieurs parties successives, appelées entrées, chacune pouvant représenter un personnage, une allégorie ou une idée. Contrairement aux ballets narratifs plus tardifs, il n’y a pas encore d’histoire continue. L’unité du spectacle repose sur un thème commun, souvent symbolique ou mythologique, compris par un public initié aux codes de la cour. Cette structure favorise une organisation claire de la danse et impose une réflexion sur l’ordre, la durée et la cohérence des enchaînements, participant ainsi à la naissance d’une forme chorégraphique plus structurée. La noblesse joue un rôle essentiel dans ce processus. Les seigneurs et les dames de la cour ne sont pas de simples spectateurs, ils sont souvent eux-mêmes danseurs. Participer à ces ballets est un signe de distinction sociale, mais aussi de maîtrise du corps et de l’esprit. Savoir danser avec précision, élégance et musicalité est perçu comme une qualité indispensable à l’homme et à la femme de cour. La danse devient ainsi un outil d’éducation et de représentation du pouvoir. Le corps noble, discipliné et harmonieux, reflète l’ordre idéal de la société et du monde tel que le conçoit la pensée renaissante. Cette implication directe de la noblesse a une conséquence majeure : la danse doit être compréhensible, lisible et collective. Les déplacements se font souvent en figures géométriques simples, visibles depuis les galeries, et les mouvements privilégient la symétrie et la mesure. La musique, composée spécifiquement pour ces événements, soutient cette organisation et renforce l’unité de l’ensemble. Peu à peu, la danse cesse d’être improvisée et s’inscrit dans une logique de composition, où chaque geste trouve sa place dans une structure globale pensée à l’avance.

La naissance du ballet comme genre autonome

Autour des années 1570-1580, un changement d’échelle et d’intention apparaît clairement : il ne s’agit plus seulement de danser lors d’un bal, mais de construire un événement chorégraphique cohérent, destiné à être vu, compris et admiré par un public. C’est dans ce cadre que naît véritablement le ballet comme genre autonome, même s’il reste encore profondément marqué par son origine aristocratique et politique.

L’année 1581 constitue une date fondatrice dans l’histoire du ballet avec la création du Ballet comique de la Reine. Présenté à Paris lors des festivités célébrant le mariage du duc de Joyeuse avec Marguerite de Lorraine, belle-sœur du roi Henri III, ce spectacle est commandé par Catherine de Médicis, figure centrale de la vie culturelle française de la seconde moitié du XVIᵉ siècle. Pour la première fois, un ballet est conçu comme un ensemble structuré et unifié, pensé pour durer plusieurs heures et raconter une action continue. Le choix du terme « comique » ne renvoie pas ici au rire, mais au théâtre et à la représentation dramatique : le ballet met en scène le mythe de Circé, magicienne de l’Antiquité, et déroule un récit clair, suivi du début à la fin par le spectateur.

Ballet comique de la Reine (1581)Ce qui distingue profondément le Ballet comique de la Reine des divertissements antérieurs tient à son organisation. Les entrées dansées, les chants, la musique instrumentale, les décors et les costumes ne sont plus juxtaposés, mais pensés ensemble, au service d’un même propos. La danse devient un langage central de la narration, même si elle s’appuie encore largement sur des figures symboliques et sur la géométrie des déplacements héritée des danses de cour. Cette volonté d’unité marque une rupture essentielle : le ballet n’est plus un simple ornement de la fête, il en devient le cœur.

Au centre de cette création se trouve Balthasar de Beaujoyeulx, maître à danser et violoniste d’origine italienne, installé à la cour de France. Son rôle est fondamental dans la naissance du ballet comme genre structuré. Beaujoyeulx ne se contente pas d’enseigner la danse ou de composer des pas : il conçoit l’ensemble du spectacle, organise les enchaînements, pense les déplacements des danseurs dans l’espace et leur relation avec la musique et le décor. À travers son travail, apparaît une figure nouvelle, encore embryonnaire, celle du chorégraphe, même si le terme n’existe pas encore au sens moderne. Cette fonction de coordination artistique est l’un des signes les plus clairs de l’autonomisation du ballet.

La portée du Ballet comique de la Reine dépasse largement l’événement lui-même. Après 1581, le ballet de cour devient un modèle repris et développé en France, puis diffusé dans d’autres cours européennes. On conserve l’idée d’un spectacle total, où la danse participe à un discours politique et symbolique, glorifiant l’ordre, l’harmonie et le pouvoir. Toutefois, le principe fondamental est désormais posé : la danse peut structurer un spectacle long, suivre une logique interne et s’adresser à un public spectateur, et non plus uniquement à des participants. Cette évolution prépare les développements des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles de la Période Baroque, lorsque le ballet quittera progressivement les salons et les cours pour investir les scènes de théâtre.

Entre la fin du XVe siècle et les dernières décennies du XVIᵉ siècle, le ballet passe d’une pratique sociale raffinée à une forme spectaculaire organisée. La création de 1581 ne marque pas une rupture brutale, mais un aboutissement, celui d’un long processus amorcé à la Renaissance italienne et consolidé en France. En donnant à la danse une place centrale dans un spectacle cohérent, pensé dans sa durée et dans son sens, le Ballet comique de la Reine scelle la naissance du ballet comme genre autonome et pose les premières bases de ce qui deviendra, plusieurs siècles plus tard, la danse classique.

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