Histoire du ballet :
Période Baroque (1600-1750)
Le Baroque (1600-1750)
Héritages et fondations du ballet baroque (début XVIIe siècle)
Au tournant du XVIIe siècle, le ballet tel que nous le connaissons commence à prendre forme à la croisée de plusieurs héritages culturels, politiques et artistiques. La France ne crée pas le ballet à partir de rien : elle s’inscrit dans une continuité européenne, fortement marquée par l’influence italienne. Dès la fin de la Renaissance, les cours italiennes développent des spectacles où se mêlent danse, musique, poésie et décors fastueux. Ces fêtes sont conçues pour célébrer le pouvoir, l’harmonie du monde et l’ordre social. Lorsque Catherine de Médicis arrive en France au XVIe siècle, elle apporte avec elle cette tradition du spectacle total. Cette influence italienne reste très présente au début du XVIIe siècle, tant dans l’organisation des fêtes que dans le goût pour la danse savante et codifiée.
Sous le règne d’Henri IV, qui gouverne de 1589 à 1610, la danse retrouve une place importante après les troubles des guerres de Religion. Le roi encourage les divertissements de cour comme moyen de stabilité politique et de rayonnement culturel. La danse est alors pratiquée par les nobles eux-mêmes : savoir danser est une qualité essentielle pour tout courtisan. Les spectacles mêlent amateurs et professionnels, sans séparation nette entre ceux qui regardent et ceux qui dansent. Cette période prépare le terrain pour l’essor du ballet de cour au début du XVIIe siècle.
Après l’assassinat d’Henri IV en 1610, la couronne revient à son fils Louis XIII, encore enfant. La régence, puis le règne personnel de Louis XIII jusqu’en 1643, s’inscrivent dans une continuité culturelle forte. La danse devient un outil politique majeur, utilisé pour affirmer l’ordre monarchique et l’unité du royaume. Le roi lui-même danse régulièrement dans les ballets de cour, ce qui renforce le prestige de cet art. La participation du souverain n’est pas anecdotique : elle donne au ballet une valeur symbolique très forte, où le corps du roi devient image du pouvoir.
C’est précisément au début du XVIIe siècle que le ballet de cour français s’impose comme une forme centrale du spectacle baroque. Ces ballets sont de longues représentations, parfois de plusieurs heures, composées d’entrées successives. Chaque entrée propose une danse, un tableau ou une scène inspirée de la mythologie, de l’histoire antique ou d’allégories morales. La danse n’est jamais seule : elle dialogue avec la musique, les textes récités ou chantés, les costumes élaborés et les décors spectaculaires. Le ballet de cour n’est donc pas encore un art autonome, mais un art de synthèse.
L’année 1610 marque une date importante avec la création du Ballet de la Reine, donné à l’occasion des festivités royales. Ce ballet illustre parfaitement les fondations du ballet baroque. Il met en scène une organisation précise de l’espace, des figures géométriques vues d’en haut, et une danse étroitement liée à la musique et au symbole. Les déplacements des danseurs ne sont pas seulement esthétiques : ils ont un sens politique et moral, lisible par le public de la cour. Cette attention portée à l’ordre, à la symétrie et à la clarté annonce déjà les principes fondamentaux de la danse classique.
Tout au long de la première moitié du XVIIe siècle, ces pratiques se développent et se perfectionnent. La danse devient plus codifiée, les pas commencent à se fixer, et l’on cherche une plus grande précision dans l’exécution. Même si les danseurs portent encore des costumes lourds et des chaussures peu adaptées à la virtuosité, les bases techniques et esthétiques sont posées. Le ballet baroque hérite ainsi des fastes italiens, mais affirme progressivement une identité française, fondée sur la mesure, l’élégance et la maîtrise du corps.
Cette période de 1600 à 1650 environ constitue un moment fondateur. Le ballet n’est pas encore un spectacle destiné au théâtre public, mais il est déjà un langage du corps organisé, porteur de sens et de pouvoir. En posant les premières règles, en associant étroitement danse et autorité politique, le ballet baroque prépare l’avènement, quelques décennies plus tard, d’un art plus autonome, qui trouvera son apogée sous le règne de Louis XIV.
Le ballet de cour : un art politique et aristocratique (1620–1650)
À partir des années 1620 et jusqu’au milieu du XVIIe siècle, le ballet de cour connaît un essor spectaculaire en France. Il devient l’un des divertissements majeurs de la vie aristocratique et s’impose comme un véritable instrument politique. Les représentations se multiplient à la cour, souvent organisées pour célébrer des événements précis comme des mariages, des traités, des victoires militaires ou des moments clés du pouvoir royal. Le ballet de cour n’est plus seulement un divertissement raffiné : il sert à mettre en scène l’ordre du royaume et la hiérarchie sociale, dans une période où l’autorité monarchique cherche à se renforcer après des décennies d’instabilité.
Entre 1620 et 1650, la noblesse joue un rôle central dans ces spectacles. Les grands seigneurs, les dames de la cour et parfois même les membres de la famille royale participent directement aux ballets. Danser sur scène n’est pas considéré comme un métier, mais comme un privilège réservé à l’élite. La danse devient un signe de distinction sociale, un moyen d’affirmer son rang, sa grâce et sa maîtrise du corps. Chaque apparition est soigneusement codifiée : les rôles attribués aux participants reflètent leur place dans l’ordre politique et symbolique du royaume.
Cette forte implication de l’aristocratie contribue à faire du ballet de cour un miroir du pouvoir. Les thèmes abordés sont souvent allégoriques, inspirés de la mythologie, du cosmos ou de figures héroïques. Derrière ces récits, le message est clair : le royaume doit être harmonieux, stable et centré autour de la figure du souverain. La danse, par ses formes ordonnées et ses déplacements géométriques, donne une image visible de cette harmonie idéale. Le corps dansant devient ainsi un langage politique, compréhensible par les spectateurs de la cour.
Dans le même temps, le pouvoir royal cherche à centraliser la vie culturelle autour de la cour. Paris et les résidences royales deviennent les lieux principaux de création et de diffusion des arts. Les spectacles sont de plus en plus organisés sous le contrôle direct du roi et de son entourage. Cette centralisation permet d’unifier les goûts, les styles et les pratiques artistiques. Le ballet de cour participe pleinement à ce mouvement : il fixe des modèles esthétiques qui s’imposent progressivement à l’ensemble du royaume.
L’année 1653 constitue un moment clé avec la création du Ballet de la Nuit. Ce spectacle, d’une ampleur exceptionnelle, dure toute une nuit et réunit de nombreux tableaux inspirés du passage des ténèbres à la lumière. Le jeune Louis XIV, âgé de quinze ans, y tient un rôle majeur en incarnant le Soleil levant. Cette apparition marque profondément les esprits. Le choix de ce rôle n’est pas anodin : il associe directement le roi à l’idée de lumière, d’ordre et de renouveau, après les troubles de la Fronde qui ont marqué les années précédentes.
Louis XIV n’est pas un simple figurant. Il danse régulièrement dans les ballets de cour entre les années 1650 et 1660, et sa présence scénique renforce le prestige de cet art. En dansant, le roi montre qu’il maîtrise son corps comme il doit maîtriser le royaume. La discipline, la précision et l’élégance exigées par la danse deviennent des qualités politiques. Le souverain se place au centre du spectacle, au sens propre comme au sens symbolique.
Institutionnalisation et professionnalisation du ballet
Au début des années 1660, le ballet entre dans une nouvelle phase décisive, marquée par une volonté claire d’organisation et de structuration durable. En 1661, Louis XIV fonde l’Académie Royale de Danse. Cette date est fondamentale dans l’histoire du ballet, car elle marque la reconnaissance officielle de la danse comme un art à part entière, digne d’être enseigné, réglementé et transmis. L’objectif de cette institution est double : préserver la qualité de la danse et en fixer les règles, tout en affirmant le rôle central du pouvoir royal dans la vie artistique du royaume. Avec la création de l’Académie Royale de Danse, la pratique cesse peu à peu d’être uniquement liée aux divertissements de cour. La danse devient un savoir structuré, confié à des maîtres reconnus. On cherche alors à définir précisément les pas, les positions du corps, l’orientation des jambes et des bras, ainsi que la tenue générale du danseur. Cette codification progressive, qui s’étend sur la seconde moitié du XVIIe siècle, permet d’unifier la pratique et de la rendre transmissible. Les bases de la technique classique se mettent en place, fondées sur la clarté, la précision et la maîtrise du mouvement. Le statut du danseur évolue alors profondément. Jusqu’alors, la danse de cour était principalement pratiquée par des nobles amateurs. Désormais, apparaissent des danseurs formés spécifiquement pour la scène. Ces artistes consacrent leur vie à l’apprentissage et à la perfection de leur art. La danse devient un métier, avec ses exigences physiques, son entraînement quotidien et ses règles propres. Cette professionnalisation transforme le rapport au corps : la virtuosité, l’endurance et la précision prennent une importance nouvelle. Progressivement, les danseurs professionnels remplacent les aristocrates sur scène. Dès les années 1670, la présence de nobles dans les ballets devient de plus en plus rare. Le spectacle n’est plus un espace où l’on affirme son rang social par sa naissance, mais un lieu où l’on démontre une compétence acquise par le travail. Cette évolution modifie profondément l’esthétique du ballet. Libérés des contraintes liées aux costumes aristocratiques et aux limites techniques des amateurs, les danseurs professionnels peuvent explorer des mouvements plus complexes et plus exigeants. Ce changement s’accompagne d’un déplacement du ballet vers des espaces de représentation plus spécialisés. La scène devient un lieu distinct de la salle, et le public se sépare clairement des interprètes. Le ballet commence alors à s’adresser à des spectateurs venus regarder des artistes, et non plus à des courtisans participant eux-mêmes au spectacle. Cette distinction renforce l’identité du ballet comme art scénique autonome. À la fin du XVIIe siècle, la participation aristocratique appartient presque entièrement au passé. La danse n’est plus un simple attribut de la noblesse, mais une discipline artistique fondée sur l’apprentissage, la rigueur et la transmission. Cette institutionnalisation et cette professionnalisation posent les bases solides sur lesquelles le ballet pourra se développer au XVIIIe siècle, en s’émancipant progressivement de la cour tout en conservant l’héritage esthétique et technique forgé durant la période baroque.
Le ballet et l’opéra : naissance d’un langage scénique hybride
À la fin des années 1660, le ballet poursuit son évolution en s’associant de plus en plus étroitement à un autre art majeur du spectacle : l’opéra. En 1669, la création de l’Académie Royale de Musique marque une nouvelle étape dans l’histoire des arts de la scène en France. Cette institution, placée sous l’autorité du roi, a pour mission de développer l’opéra en langue française. Très rapidement, la danse y trouve une place essentielle, non plus comme simple divertissement ajouté, mais comme un élément constitutif du spectacle. Dans ce nouveau cadre, le ballet s’intègre pleinement à l’opéra. Les scènes chantées alternent avec des passages dansés, appelés divertissements, qui viennent enrichir l’action dramatique. La danse ne raconte pas encore une histoire de manière autonome, mais elle participe à l’atmosphère, souligne les émotions et renforce le sens des scènes. Cette association entre musique, chant, danse et théâtre contribue à la naissance d’un langage scénique hybride, caractéristique de l’esthétique baroque. Un personnage joue un rôle central dans cette évolution : Jean-Baptiste Lully. Né en Italie en 1632 et arrivé très jeune en France, il devient rapidement une figure incontournable de la vie musicale sous Louis XIV. Compositeur officiel de la cour à partir des années 1660, Lully comprend très tôt l’importance de la danse dans le spectacle lyrique. Il compose des musiques pensées pour le mouvement, claires dans leur rythme et adaptées aux besoins des danseurs. Son travail contribue à renforcer le lien étroit entre musique et danse sur scène. Avant de dominer le monde de l’opéra, Lully collabore étroitement avec Molière dans les années 1660. Ensemble, ils créent un genre nouveau : la comédie-ballet. Ces œuvres mêlent théâtre parlé, musique et danse au sein d’un même spectacle. Les scènes comiques alternent avec des entrées dansées, souvent pleines d’énergie et d’humour. La danse y joue un rôle essentiel, non seulement pour divertir, mais aussi pour prolonger le sens de la pièce et renforcer son rythme. Des œuvres comme Le Bourgeois gentilhomme, créé en 1670, illustrent parfaitement cette fusion des arts. Les comédies-ballets rencontrent un immense succès auprès du public et contribuent à familiariser les spectateurs avec une forme de spectacle où la danse est indissociable du théâtre et de la musique. Elles participent à l’élargissement du public du ballet, qui ne se limite plus au cercle restreint de la cour. Cette popularité favorise l’essor d’une nouvelle conception du spectacle, fondée sur la collaboration étroite entre compositeurs, chorégraphes, danseurs et auteurs. À travers l’opéra et la comédie-ballet, la danse acquiert une fonction nouvelle. Elle n’est plus seulement un art du corps ou un signe de distinction sociale, mais un véritable langage scénique capable de dialoguer avec le texte et la musique. Cette hybridation, développée entre les années 1660 et 1680, prépare les évolutions du XVIIIe siècle, durant lesquelles le ballet cherchera progressivement à affirmer son autonomie tout en conservant les liens profonds tissés avec l’opéra à l’époque baroque.
Évolutions techniques, esthétiques et scéniques (fin XVIIe siècle)
À la fin du XVIIe siècle, le ballet connaît d’importantes évolutions techniques, esthétiques et scéniques qui transforment profondément la manière de danser et de concevoir le spectacle. Ces changements s’inscrivent dans un contexte où la danse est désormais solidement installée sur les scènes professionnelles, notamment à l’Opéra, et où les attentes du public évoluent vers des formes toujours plus élaborées et spectaculaires. L’année 1681 marque une date particulièrement significative avec l’apparition des premières femmes danseuses à l’Opéra de Paris. Jusqu’alors, les rôles féminins étaient interprétés par des hommes, comme c’était l’usage dans de nombreux spectacles de l’époque. L’entrée des femmes sur scène modifie durablement l’esthétique du ballet. Leur présence apporte de nouvelles qualités de mouvement, une autre relation à la grâce et à l’expressivité, et ouvre la voie à une différenciation plus nette entre les rôles masculins et féminins. Cette évolution annonce un changement profond dans l’équilibre des interprètes, même si les danseurs masculins restent encore dominants à la fin du XVIIe siècle. Justement, durant cette période, la technique masculine continue de se développer de manière très affirmée. Les danseurs hommes sont au centre du spectacle et incarnent la virtuosité. Les sauts, les tours et les pas rapides prennent une place de plus en plus importante. La danse exige force, précision et endurance, qualités particulièrement valorisées dans les rôles masculins. Cette recherche de performance technique contribue à faire du danseur un véritable athlète de la scène, tout en conservant l’idéal d’élégance propre à l’esthétique baroque. Parallèlement, le spectacle de ballet devient de plus en plus impressionnant sur le plan visuel. À la fin du XVIIe siècle, les décors et les machineries baroques atteignent un haut degré de sophistication. Les scènes se transforment grâce à des systèmes complexes de poulies, de trappes et de toiles peintes, permettant des changements rapides de lieux et des effets spectaculaires. Apparitions divines, paysages mythologiques et transformations soudaines participent à l’émerveillement du public. La danse s’inscrit alors dans un univers visuel foisonnant, où le mouvement du corps dialogue avec l’illusion scénique. Les costumes jouent également un rôle essentiel dans cette esthétique. Ils sont richement décorés, structurés et souvent très contraignants. Les danseurs portent des habits lourds, des perruques, des corsets, des paniers ou des éléments rigides qui limitent l’amplitude des mouvements. Ces costumes imposent une danse principalement verticale, fondée sur la tenue du buste, la précision des pas et la clarté des positions. Si ces contraintes freinent la liberté du mouvement, elles participent pleinement à l’élégance et à la lisibilité du ballet baroque. Les avancées dans l’interprétation, l’apparition des femmes sur scène, la virtuosité masculine et le développement des décors et costumes façonnent une forme spectaculaire très codifiée. Ces choix artistiques, parfois limitants pour le corps du danseur, constituent néanmoins un socle essentiel à partir duquel le ballet pourra évoluer au XVIIIe siècle vers des formes plus libres et plus expressives.
Vers l’autonomie artistique du ballet (début XVIIIe siècle)
Au début du XVIIIe siècle, le ballet s’engage progressivement sur la voie de l’autonomie artistique. Sans rompre totalement avec l’opéra ni avec les formes héritées du siècle précédent, il affirme de plus en plus sa capacité à exister par lui-même. Autour des années 1700, la danse n’est plus seulement un ornement du spectacle lyrique ou théâtral, mais un art qui cherche son propre langage, fondé sur le mouvement, la structure et l’expressivité du corps.
Cette évolution s’accompagne de l’affirmation de nouvelles figures centrales : les maîtres de ballet. À partir du tout début du XVIIIe siècle, ces artistes prennent une place essentielle dans la création des spectacles. Ils ne se contentent plus d’enseigner ou de diriger les danseurs, mais conçoivent l’organisation des danses, choisissent les enchaînements, structurent l’espace scénique et donnent une cohérence d’ensemble au ballet. Leur rôle marque une étape importante dans la reconnaissance de la danse comme un art construit et pensé, et non plus seulement exécuté.
Dans le même temps, le besoin de conserver, transmettre et reproduire les danses devient de plus en plus fort. C’est dans ce contexte que se développe la notation de la danse. Contrairement à la musique, la danse reposait jusque-là presque exclusivement sur la transmission orale et corporelle. Or, au tournant du XVIIIe siècle, la volonté de fixer les chorégraphies par écrit s’impose comme un enjeu majeur, aussi bien pour l’enseignement que pour la diffusion des œuvres.
Autour de l’année 1700, le système de notation Beauchamp-Feuillet se diffuse largement en France. Fondé sur les travaux de Pierre Beauchamp et mis en forme par Raoul-Auger Feuillet, ce système permet de représenter graphiquement les pas, les déplacements et les directions dans l’espace. Les danses peuvent désormais être notées, publiées et transmises au-delà du lieu et du moment de leur création. Cette avancée renforce considérablement l’autonomie du ballet, qui acquiert ainsi une mémoire écrite et une stabilité nouvelle.
Grâce à ces transformations, le ballet du début du XVIIIe siècle gagne en cohérence et en lisibilité. Les chorégraphies deviennent plus structurées, les rôles des interprètes plus clairement définis, et la danse affirme sa capacité à organiser le temps et l’espace scénique de manière autonome. Sans encore raconter des histoires complètes par le seul mouvement, le ballet s’émancipe peu à peu de la musique et du texte.
Cette période de transition, située entre 1700 et les années 1730, prépare les grandes réformes à venir de la période Pré-Romantique. En se dotant de créateurs identifiés, d’outils de notation et d’une pensée propre du mouvement, le ballet pose les bases d’un art indépendant, capable d’évoluer vers des formes plus expressives et plus narratives au cours du XVIIIe siècle, tout en conservant l’héritage baroque qui l’a façonné.
Rayonnement européen et raffinement stylistique
Dans la première moitié du XVIIIe siècle, le ballet français dépasse largement les frontières du royaume et connaît un important rayonnement à l’échelle européenne. Grâce au prestige culturel de la France, affirmé depuis la fin du règne de Louis XIV, la danse française devient un modèle. Des maîtres de ballet, des musiciens et des danseurs formés à Paris sont invités dans de nombreuses cours d’Europe, notamment en Italie, en Angleterre, dans les États allemands et en Europe centrale. Cette diffusion contribue à installer le vocabulaire, les pas et le style français comme une référence commune, tout en favorisant des échanges artistiques entre les différentes traditions locales. Cette circulation du ballet s’accompagne d’un raffinement croissant de l’écriture musicale et chorégraphique. La danse gagne en subtilité, en clarté et en précision. Les enchaînements deviennent plus fluides, les transitions plus soignées, et l’on accorde une attention particulière à l’équilibre entre le mouvement, la musique et l’expression. Le ballet n’est plus seulement spectaculaire : il cherche à séduire par son élégance et par la cohérence de son style. Dans ce contexte, la figure de Jean-Philippe Rameau occupe une place majeure. À partir des années 1720, et notamment autour de 1725, son œuvre marque un tournant dans l’histoire de la musique de danse. Compositeur d’opéras et de ballets, Rameau développe une écriture musicale riche, inventive et expressive, qui offre à la danse un soutien nouveau. Ses partitions proposent des rythmes variés, des contrastes marqués et une grande finesse d’atmosphères, permettant aux chorégraphes d’explorer des nuances plus complexes dans le mouvement. Les ballets héroïques, qui se développent dans cette période, illustrent parfaitement ce raffinement stylistique. Inspirés de sujets mythologiques ou légendaires, ils mettent en scène des figures nobles, des héros et des dieux, dans des spectacles où la danse, la musique et le décor forment un ensemble harmonieux. La danse y joue un rôle central, non seulement pour embellir l’action, mais aussi pour en traduire les tensions, les émotions et les valeurs morales. Ces œuvres rencontrent un large succès et participent au rayonnement du ballet français bien au-delà de Paris. Progressivement, ce raffinement musical et chorégraphique transforme la perception du ballet. La danse devient un art de plus en plus exigeant, fondé sur la maîtrise du détail, la qualité du geste et la justesse de l’interprétation. Cette recherche d’élégance et de cohérence renforce l’identité du ballet comme art savant, capable de dialoguer avec les plus grandes formes musicales de son temps. Entre les années 1720 et 1740 environ, le ballet baroque atteint une forme de maturité stylistique. Diffusé à travers l’Europe, enrichi par des collaborations musicales majeures et porté par une recherche constante de raffinement, il s’impose comme un art reconnu et admiré. Ce rayonnement européen prépare les transformations à venir et ouvre la voie aux grandes réformes esthétiques qui marqueront la seconde moitié du XVIIIe siècle.LIRE LA SUITE …