Origines et histoire de la salsa
La salsa est une danse latino-américaine riche en histoire, née d’un métissage culturel unique. Depuis ses origines modestes jusqu’à son statut actuel de phénomène mondial, son évolution s’est déroulée sur plus d’un siècle et a traversé de nombreux pays et villes. Voici un voyage chronologique à travers les racines de la salsa et son développement au fil du temps.
Origines afro-cubaines de la salsa (fin XIXème – début XXème siècle)
Les racines de la salsa plongent dans le terreau musical de Cuba à la fin du XIXème siècle et au début du XXème. A cette époque, les rythmes africains apportés par les esclaves s’entremêlent aux mélodies européennes des colons espagnols. Ce brassage donne naissance à de nouvelles musiques et danses cubaines. Un genre emblématique en est le son cubain, apparu dans les campagnes cubaines et popularisé dans les années 1920. Le son mélange des percussions d’origine africaine avec des instruments à cordes d’origine espagnole (comme le tres cubain, une petite guitare), créant un style entraînant qui sera l’une des bases de la salsa. Parallèlement, d’autres courants cubains enrichissent ce terreau : la rumba afro-cubaine, avec ses percussions et ses chants improvisés, et le danzón, danse dérivée des rythmes européens plus formelle et élégante. Ces différentes influences se côtoient à Cuba et posent les fondations du futur style salsa, même si le mot salsa n’existe pas encore.
En parallèle, les danseurs cubains commencent à codifier une nouvelle danse de couple appelée salsa cubaine (Casino), qui se développe à La Havane au début des années 1950 et deviendra la base de la salsa cubaine actuelle. Puis, dans la seconde moitié des années 1950, apparaît la Rueda de Casino : une manière collective et ludique de danser le Casino en cercle, avec un meneur qui annonce les passes.
Au milieu du XXème siècle, Cuba continue d’être un lieu de brassage musical dont l’influence va bientôt s’exporter. Dans les années 1940 à 1950, de nouvelles danses cubaines comme le mambo et le cha-cha-cha voient le jour. Le mambo, popularisé entre autres par le musicien cubain Pérez Prado, se caractérise par un rythme endiablé et des mouvements de danse énergiques. Le cha-cha-cha, né à Cuba à partir du mambo, offre un tempo plus lent avec un pas de danse syncopé facile à suivre. Ces danses connaissent un succès considérable non seulement à La Havane, mais aussi hors de Cuba. A cette époque, La Havane est un haut lieu de la musique caribéenne, mais les événements politiques de la fin des années 1950, comme la révolution cubaine, vont pousser de nombreux musiciens à émigrer et à porter leur culture musicale ailleurs.
De Cuba à New York : l’essor de la salsa (années 1960-1970)
A partir des années 1960, New York devient la nouvelle terre d’accueil de la musique latine et le berceau où la salsa, telle qu’on la connaît, va réellement émerger. De nombreux musiciens cubains et portoricains s’y installent, notamment dans le quartier d’East Harlem (surnommé Spanish Harlem ou El Barrio). Ils apportent avec eux les sonorités du son, du mambo et d’autres rythmes caribéens. A New York, ces influences afro-cubaines fusionnent avec le jazz et la soul nord-américains, donnant naissance à un style musical urbain nouveau et bouillonnant. C’est dans cette effervescence culturelle que le terme « salsa » commence à être utilisé pour désigner ce mélange épicé de musiques latines. C’est également dans ce contexte que se structure la danse sur le « temps 2 », un style de danse aujourd’hui connu sous le nom de Salsa portoricaine on2 (New York style), qui se développe précisément au cœur de cette scène new-yorkaise dans les années 1960-1970.
Vers la fin des années 1960 et le début des années 1970, l’industrie musicale latine, menée par le célèbre label Fania Records, popularise largement le mot salsa. Fondé en 1964 par Johnny Pacheco (un musicien dominicain) et Jerry Masucci (un producteur américain), Fania va rassembler de nombreux talents de la diaspora latine à New York. Des artistes légendaires comme Celia Cruz (chanteuse cubaine), Tito Puente (percussionniste new-yorkais d’origine portoricaine) ou Héctor Lavoe (chanteur portoricain) enregistrent sous ce label et contribuent à définir la sonorité de la salsa. En 1971, un concert mythique au club Cheetah à Manhattan, réunissant les Fania All-Stars, est souvent cité comme un moment-clé de l’histoire de la salsa, marquant son entrée triomphale sur la scène internationale. Dans les clubs new-yorkais, en particulier au légendaire Palladium Ballroom sur Broadway, la danse salsa prend son envol auprès d’un large public. Des danseurs de tous horizons se pressent à ces soirées latines où l’on danse sur des orchestres en live. A la même époque, la salsa se diffuse à l’international et notamment en Colombie où naissent les prémices de la salsa colombienne, un style très rapide et ancré dans l’énergie populaire de Cali, qui commence à se distinguer dans les années 1960-1970. New York dans ces années-là devient le point de convergence où la salsa évolue en une musique et une danse de couple distinctes, héritières du mambo mais enrichies de styles variés, prête à conquérir le monde.
Diffusion de la salsa dans les Amériques (années 1970-1980)
Pendant que New York vit son âge d’or de la salsa dans les années 70, le mouvement se propage rapidement à d’autres régions. Porto Rico, île caribéenne d’où sont originaires de nombreux musiciens de la Fania, adopte et développe à son tour la salsa. San Juan, la capitale portoricaine, voit émerger dans les années 1970 des orchestres locaux qui rivalisent de talent avec ceux de New York. La salsa y prend une coloration légèrement différente, mais reste un symbole de fierté culturelle.
Au sud des Caraïbes, la Colombie embrasse également la salsa avec enthousiasme. Dans la ville de Cali, en particulier, la salsa devient un véritable phénomène de société dans les années 1970-1980. Les habitants de Cali, au point d’en faire la « capitale mondiale de la salsa », développent un style de danse endiablé connu pour ses pas ultra-rapides et sa technique de jambes spectaculaire : la salsa colombienne (style Cali). Des groupes colombiens comme la Fania locale (distincte du label new-yorkais) ou plus tard des orchestres célèbres comme Grupo Niche et la Sonora Carruseles contribuent à forger un son salsa colombien, énergique et percutant, très apprécié pour faire danser les foules. A la même époque, la salsa s’implante aussi fortement au Venezuela, à Panama et dans bien d’autres pays d’Amérique latine, où des scènes locales voient le jour. Chaque pays et chaque grande ville latino-américaine apportent alors sa touche : des trompettes et percussions particulières, ou des façons de danser légèrement différentes, tout en restant dans l’esprit commun de la salsa.
Durant les années 1980, la salsa continue d’évoluer et de toucher un public toujours plus large. C’est l’époque où naît le courant de la salsa romántica. Ce sous-genre musical, initié principalement par des artistes portoricains et new-yorkais, ralentit le tempo de la salsa et met l’accent sur des textes romantiques. Des chanteurs comme Luis Enrique ou Eddie Santiago interprètent des salsa aux paroles d’amour qui deviennent des tubes radiophoniques. Cette salsa plus douce à l’écoute séduit un nouveau public et contribue à populariser la danse salsa dans les soirées mondaines et les fêtes de famille. Parallèlement, à Cuba, malgré l’isolement dû à l’embargo, la musique continue à innover : à la fin des années 1980, les musiciens cubains créent la timba, une forme moderne de salsa aux arrangements complexes et à l’énergie débordante, emmenée par des groupes comme Los Van Van. La timba revitalise la danse salsa cubaine en y insufflant des influences de funk, de rock et de musique afro-cubaine contemporaine.
Une danse globalisée (années 1990 à aujourd’hui)
A partir des années 1990, la salsa s’étend véritablement à l’échelle mondiale. Des métropoles occidentales comme Los Angeles, Miami, Paris ou Tokyo voient émerger de grandes communautés de danseurs de salsa. Des écoles de danse et des clubs dédiés ouvrent un peu partout, tandis que des festivals internationaux de salsa sont organisés chaque année, attirant des passionnés de tous niveaux. Cette mondialisation s’accompagne de l’apparition de nouveaux styles de danse salsa, souvent nommés d’après leur lieu d’origine. Par exemple, la salsa portoricaine on1 (style los angeles) se développe sur la côte ouest américaine dans les années 1990 : il se danse sur le premier temps de la musique (on « 1 ») avec des figures spectaculaires, empruntant au show et aux acrobaties, reflétant l’influence hollywoodienne. De son côté, le style New York, aussi appelé mambo « on 2 », reste fidèle à l’héritage du mambo des années 50 : il se danse en marquant le deuxième temps musical, avec des mouvements plus linéaires et une élégance feutrée, souvent prisé pour sa connexion fine entre partenaires et sa musicalité. Le style cubain (casino) continue d’être dansé largement, caractérisé par ses déplacements circulaires et sa vivacité, et s’exporte grâce à la popularité mondiale de la musique cubaine après les années 1990 (notamment portée par le succès du Buena Vista Social Club). Enfin, le style colombien, issu de Cali, garde sa réputation de style le plus rapide, avec des jeux de jambes impressionnants, et s’illustre lors de compétitions internationales où les danseurs colombiens excellent. Malgré ces variantes, tous ces styles partagent les mêmes racines caribéennes et permettent aux danseurs du monde entier de se comprendre sur la piste, peu importe la ville où ils se trouvent.
Au tournant du XXIème siècle et jusqu’à aujourd’hui, la salsa continue de s’enrichir. Des fusions musicales apparaissent, mêlant la salsa à des genres contemporains comme le reggaeton, la pop ou même le jazz latin moderne. Ces nouvelles tendances se reflètent également dans la danse, où l’on intègre parfois des mouvements venus d’autres disciplines (danses urbaines, danse contemporaine, etc.) pour créer des shows originaux. Internet et les réseaux sociaux contribuent eux aussi à la diffusion de la salsa : les vidéos de danse en ligne, les tutoriels et les musiques disponibles en streaming facilitent l’apprentissage et la popularité de la salsa dans des contrées où elle n’était pas traditionnelle. On peut désormais apprendre la salsa à Montpellier, à Moscou ou à Séoul presque aussi facilement qu’à La Havane ou San Juan. Partout, des communautés se forment autour de cette danse, organisant des soirées appelées salsotecas ou des pratiques en plein air.