Origines et histoire de la valse

L’histoire de la valse commence bien avant son arrivée dans les grands bals européens. Ses origines plongent dans les danses rurales d’Europe centrale, dont les racines mêlent mouvements tournants et rythme régulier. Sa naissance au XVIIIème siècle marque le début d’une véritable transformation sociale et culturelle. Au fil du temps, son évolution façonne une danse qui passe des villages aux palais, puis conquiert le monde entier. Découvrez son parcours, depuis ses fondations populaires jusqu’à son rayonnement international.

Les racines de la valse

La valse, reconnue comme la plus ancienne des danses de salon modernes, plonge ses racines dans les danses populaires et folkloriques du monde germanophone. Son ancêtre le plus direct et le plus déterminant est incontestablement le Ländler, une danse paysanne probablement au cours du XVIIᵉ siècle, très répandue en Bohême, en Autriche et en Bavière. Cette danse à 3 temps était pratiquée par les agriculteurs et les gens du peuple, contrairement à la haute société qui privilégiait le menuet, dans les villages, lors de fêtes locales, de mariages ou de rassemblements saisonniers.

Le Ländler

Initialement, le Ländler, parfois désigné sous le nom de « Langaus » ou « Schleifer », était caractérisé par un mouvement de sautillement et une rotation par estampage. Les partenaires se tenaient souvent par la main ou par la taille, se rapprochaient, se séparaient, pivotaient et frappaient le sol d’un pas lourd ou glissé. Ce caractère dynamique s’accompagnait de tours rapides qui mettaient en valeur la complicité du couple. Les hommes y ajoutaient volontiers des gestes de bravoure, telle que la frappe du talon ou des claquements de doigts, tandis que les femmes faisaient virevolter leur jupe, créant un effet visuel joyeux et parfois flirtueux.

Un autre aspect essentiel du Ländler résidait dans sa musicalité folklorique. La musique était jouée par de petits ensembles traditionnels : violon, flûte, guitare, clarinette ou accordéon, parfois accompagnés de yodels. Les mélodies étaient simples, entraînantes et répétitives, ce qui laissait de la liberté à la créativité des danseurs. L’esprit du Ländler tenait beaucoup à la spontanéité : on improvisait, on s’amusait, on cherchait le tour le plus habile ou le plus grisant.

Le Dreher

Le Dreher était une danse traditionnelle d’Europe germanique, étroitement liée aux pratiques villageoises qui avaient façonné les danses tournoyantes du XVIIIᵉ siècle. Son nom provenait du verbe allemand drehen, « tourner », et cette idée de rotation constante constituait véritablement son identité profonde. Le Dreher se dansait en couple, souvent enlacé ou avec une prise de main proche, et reposait sur le principe d’un pivot régulier qui faisait tourner les partenaires sur eux-mêmes tout en se déplaçant doucement autour de la piste. C’était une danse qui exigeait à la fois de l’endurance, une certaine maîtrise de l’équilibre et un sens du rythme très affirmé.

Le tempo était généralement modéré, parfois un peu plus rapide selon les régions, mais ce n’était pas une danse sautillante : le Dreher se caractérisait plutôt par un mouvement fluide, continu, presque hypnotique. Les pieds glissaient davantage qu’ils ne frappaient le sol, ce qui donnait à la danse un style élégant malgré son origine populaire. La connexion entre les deux danseurs était essentielle : ils devaient maintenir une proximité stable pour conserver la dynamique circulaire sans se brusquer ni se séparer sous l’effet de la rotation.

le landler

La danse populaire à la conquête de l’aristocratie

La transformation s’amorce véritablement dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, alors que les villes autrichiennes et allemandes connaissent une expansion démographique et une effervescence culturelle sans précédent. Vienne, en particulier, devient le creuset de cette mutation. Les populations rurales affluant vers les centres urbains apportent avec elles leurs traditions chorégraphiques, mais ces pratiques se trouvent confrontées à un nouvel environnement social. Les tavernes et les guinguettes des faubourgs viennois accueillent ces danses paysannes, mais l’espace plus restreint et le public plus mélangé imposent déjà des modifications.
Le Ländler commence à perdre ses aspects les plus rustiques, ses sauts acrobatiques et ses piétinements bruyants, pour adopter une gestuelle plus contenue. Durant cette transition, le mouvement original se transforme : la rotation par estampage est remplacée par une rotation glissée, et le sautillement cède la place à un pas glissé.

L’intérêt progressif des aristocrates pour les danses populaires s’est construit à travers plusieurs vecteurs de transmission. La transition du Ländler vers la valse n’est pas un changement brutal, mais une évolution organique portée par la rencontre des mondes populaires et bourgeois, par la transformation de la musique et des codes sociaux.

La valse avant le Congrès : une danse suspecte

Pour comprendre la révolution que va bientôt représenter la valse, il faut la replacer dans le contexte des danses aristocratiques qui dominaient jusqu’alors. Le menuet, la gavotte, la contredanse étaient des danses de figures géométriques où les danseurs formaient des ensembles complexes, changeaient fréquemment de partenaires, et se touchaient à peine, le plus souvent du bout des doigts. Ces danses reflétaient l’ordre social hiérarchique de l’Ancien Régime : chacun connaissait sa place, les mouvements étaient codifiés et prévisibles, la distance physique entre les corps respectait les convenances.

La valse va bouleverser radicalement ces codes. Issue des danses paysannes du sud de l’Allemagne et d’Autriche, elle va imposer une intimité physique inédite. L’homme place fermement sa main sur la taille de sa partenaire, parfois même dans le creux de son dos. La femme pose sa main sur l’épaule de son cavalier. Leurs corps se rapprochent au point de se toucher, leurs visages sont à quelques centimètres l’un de l’autre, leurs regards se croisent constamment pendant que le couple tourbillonne sans fin sur lui-même, emporté par le rythme à trois temps. Cette rotation rapide, cette proximité des corps, ce face-à-face continu créent une bulle d’intimité au milieu de la foule des danseurs.
Avant le Congrès de Vienne qui va commencer en 1814, cette danse provoquait scandales et interdictions. A la fin du XVIIIème siècle et au début du XIXe, de nombreuses voix s’élèvent contre ce qu’elles considèrent comme une pratique indécente.

congres de vienne 1814-1815

Le Congrès de Vienne et la révolution de la valse

Le Congrès de Vienne, qui se tient entre septembre 1814 et juin 1815, représente bien plus qu’une simple conférence diplomatique destinée à réorganiser l’Europe après les bouleversements napoléoniens. Cette assemblée extraordinaire, réunissant empereurs, rois, princes et diplomates de toutes les cours européennes, devient le théâtre d’une transformation sociale et culturelle profonde dont la valse est à la fois le symbole et le vecteur principal.

L’atmosphère particulière du Congrès

Vienne se transforme pendant ces neuf mois en une immense fête permanente. Le prince de Metternich, principal organisateur autrichien, comprend que les négociations politiques avanceront mieux dans une atmosphère de plaisir et de divertissement. Chaque soir, parfois plusieurs fois par jour, des bals somptueux sont organisés dans les palais impériaux, les résidences aristocratiques et les grandes salles de la ville.
Pour la première fois depuis les guerres révolutionnaires et napoléoniennes, les aristocraties de tous les pays se retrouvent en un même lieu, dans une atmosphère de paix retrouvée et d’euphorie collective. C’est dans ce contexte particulier que la valse viennoise, jusqu’alors cantonnée aux tavernes populaires et aux bals bourgeois de la capitale autrichienne, va conquérir l’Europe entière.

Le moment décisif du Congrès

Avant 1814, la valse choquait encore de nombreuses personnes par sa proximité physique et son intimité sans précédent, en rupture totale avec les danses aristocratiques codifiées de l’Ancien Régime. C’est le Congrès de Vienne qui transforme cette danse encore controversée en phénomène européen légitime et irrésistible. Plusieurs facteurs convergent pour créer ce moment historique. D’abord, l’ampleur des festivités nécessite des danses capables de mobiliser un grand nombre de participants pendant des heures. La valse, avec sa relative simplicité par rapport aux contredanses complexes, permet à davantage de gens de participer simultanément. Les orchestres viennois, dirigés par des musiciens comme Michael Pamer et Joseph Lanner, développent un répertoire de valses de plus en plus sophistiquées qui enchantent les participants.

Ensuite, l’atmosphère même du Congrès favorise la transgression des anciennes conventions. Loin de leurs cours respectives, dans une ville en fête permanente, les aristocrates européens s’abandonnent plus facilement aux plaisirs nouveaux. Les jeunes princes et princesses découvrent avec enthousiasme cette danse qui leur offre une liberté inédite. Même des figures aussi conservatrices que l’empereur François Ier d’Autriche ou le tsar Alexandre Ier de Russie participent aux bals où l’on valse, conférant ainsi une légitimité implicite à cette pratique.
Le succès est fulgurant. Nuit après nuit, dans les salles illuminées des palais viennois, des centaines de couples tourbillonnent au son des orchestres. La comtesse de Boigne, témoin du Congrès, décrit dans ses mémoires l’atmosphère presque enivrante de ces bals où la valse règne en maître. Elle note comment cette danse crée une communion collective, une euphorie partagée qui efface temporairement les différences de rang et de nationalité. Des diplomates prussiens valsent avec des duchesses autrichiennes, des généraux russes avec des comtesses italiennes. La valse devient le langage commun de cette Europe aristocratique qui tente de se reconstruire après vingt-cinq ans de guerres. 

Les implications sociales et culturelles en Europe

Lorsque le Congrès se termine en juin 1815, chaque délégation ramène la valse dans son pays. Les ambassadeurs, les princes, les officiers qui ont passé des mois à Vienne deviennent les propagateurs de cette nouvelle mode.
Cette diffusion de la valse à travers l’Europe post-napoléonienne révèle des transformations profondes dans les mentalités et les structures sociales. La valse symbolise une nouvelle conception des relations entre hommes et femmes, plus directes, plus émotionnelles, moins médiatisées par les conventions rigides de l’étiquette aristocratique. Elle reflète aussi l’émergence d’une sphère de sociabilité où le plaisir individuel et l’expression personnelle trouvent leur place légitime, même au sein de l’aristocratie restaurée.
Paradoxalement, la valse devient également un vecteur de démocratisation sociale. Si elle conquiert d’abord l’aristocratie lors du Congrès de Vienne, elle redescend ensuite vers la bourgeoisie et les classes populaires, créant pour la première fois une pratique culturelle véritablement partagée par toutes les classes sociales. Dans les salons aristocratiques comme dans les guinguettes populaires, on valse selon les mêmes principes, même si les cadres et les conventions diffèrent. Cette transversalité sociale de la valse préfigure la culture de masse qui se développera au cours du XIXème siècle.

Sur le plan artistique, la valse stimule également une créativité musicale extraordinaire. De Vienne part une vague de compositeurs spécialisés dans cette forme : Johann Strauss père, puis ses fils Johann II, Josef et Eduard élèveront la valse au rang d’art majeur, créant des œuvres d’une sophistication harmonique et orchestrale remarquable. Au-delà des Strauss, les grands compositeurs romantiques intègrent la valse dans leur langage musical : Chopin compose des valses pour piano d’une profondeur poétique inédite, Berlioz introduit des valses dans ses symphonies, et plus tard, le mouvement de valse deviendra un élément quasi obligatoire des ballets, opéras et symphonies du répertoire romantique.

Une révolution durable

L’impact du Congrès de Vienne sur le développement de la valse illustre parfaitement comment les grands événements politiques peuvent catalyser des transformations culturelles durables. En quelques mois, grâce à la concentration extraordinaire de l’élite européenne dans une atmosphère de fête et de liberté relative, une danse encore controversée devient le symbole d’une nouvelle époque. La valse incarne l’esprit du XIXème siècle naissant : romantique dans sa célébration de l’émotion et de l’intimité, moderne dans son rejet des conventions rigides, mais aussi ambiguë dans sa capacité à séduire simultanément les conservateurs nostalgiques de l’Ancien Régime et les progressistes aspirant à plus de liberté individuelle.

Cette révolution chorégraphique dépasse largement le cadre de la danse pour toucher à des questions fondamentales sur les rapports entre les sexes, la place du corps et de l’émotion dans la vie sociale, la perméabilité des frontières de classe. Le fait qu’une transformation aussi profonde des mœurs ait pu s’opérer à travers une pratique apparemment aussi légère qu’une danse témoigne de la puissance des expressions culturelles comme vecteurs de changement social. Le Congrès de Vienne, en voulant restaurer l’ordre ancien de l’Europe, a involontairement facilité l’émergence d’une modernité sociale dont la valse reste, aujourd’hui encore, l’un des symboles les plus éloquents.

Duchess of Richmond's ball

Le rôle des compositeurs de cour comme intermédiaires culturels

La transformation gestuelle de la danse s’accompagne d’une évolution musicale déterminante. Les compositeurs commencent à écrire des pièces spécifiquement destinées à cette nouvelle danse. Le tempo s’accélère progressivement, passant du mouvement modéré du Ländler à un allegro plus vif. La structure musicale se sophistique également. Là où le Ländler se contentait de courtes phrases mélodiques répétées, la valse développe une architecture plus élaborée, avec des introductions, des sections contrastées, des modulations harmoniques et des codas. L’instrumentation s’enrichit aussi, passant des ensembles villageois aux orchestres de salon, puis aux grandes formations symphoniques.
Ces compositeurs ne se contentaient pas de reproduire mécaniquement les danses paysannes. Ils les stylisaient, les orchestraient avec raffinement et leur conféraient une respectabilité artistique. En écrivant pour les orchestres de cour, ils transformaient des mélodies rustiques jouées au violon ou à la cithare en pièces élégantes pour ensembles complets. Cette « élévation » artistique rendait ces danses acceptables pour l’aristocratie, qui pouvait ainsi s’y intéresser sans déroger à son statut social.

Si l’histoire retient surtout les grands artisans de la valse naissante, il ne faut pas oublier que Mozart, Haydn ou encore Beethoven avaient déjà préparé le terrain en intégrant dans leurs œuvres des rythmes et des mélodies issus des danses populaires. Par leur travail de stylisation au sein de la musique de cour, ils ont rendu ces influences paysannes acceptables et même séduisantes pour l’aristocratie, ouvrant la voie aux trois véritables pionniers de la valse.

Joseph Lanner

Lorsque le Ländler et les autres danses paysannes tournoyantes commencent à gagner la ville, ce sont des musiques encore rustiques, souvent improvisées, jouées avec de petits ensembles dans un contexte populaire. Lanner, violoniste et chef d’orchestre viennois actif dans les années 1820-1830, comprend qu’il existe là un matériau riche qu’il est possible d’élever au rang de musique mondaine.
Il adapte donc ces airs en leur donnant une structure plus raffinée : il les arrange, les harmonise, les orchestre pour des ensembles plus étoffés, et surtout, il leur imprime une esthétique élégante, adaptée aux salles de bal aristocratiques. En accélérant le tempo, en allégeant les appuis et en rendant la rotation plus fluide, il contribue directement à la métamorphose de la danse.

joseph lannerEn 1820, il créa un quintette dans lequel il jouait du violon et Johann Strauss père de l’alto, ensemble qui se transforma rapidement en un orchestre plus important tournant dans les cabarets de Vienne, particulièrement dans le quartier du Prater. Tous deux n’avaient reçu aucune formation académique en composition. Ils ont développé leur art de manière empirique, en jouant pour les bals et en observant ce qui plaisait au public. Cette origine « du terrain » leur permettait de rester connectés aux formes populaires tout en les sophistiquant progressivement.
En 1829, Lanner fut nommé directeur de la musique de bal de la cour impériale. Cette nomination est capitale : elle marque la reconnaissance officielle de son travail par l’aristocratie et consacre l’entrée définitive de la valse, issue des danses paysannes, dans les salons les plus prestigieux de l’empire. A ce stade, Lanner composait des œuvres comme les « Danses des bals de la Cour » (op. 161) ou « Les Schönbrunnois » (op. 200), pièces sophistiquées destinées à l’aristocratie mais qui conservaient l’énergie et la vitalité des danses populaires dont elles étaient issues.

Johann Strauss I

En 1825, Johann Strauss I considére que ses propres compositions et son travail ne recevaient pas la reconnaissance ou la liberté qu’il souhaitait : il se sentait limité à un rôle de subordonné, en tant que vice-chef ou premier violon, sans pouvoir pleinement s’affirmer. Des divergences de vue sur le style de musique finirent par séparer les deux amis en 1825, conduisant Strauss à monter son propre orchestre et à donner un style moins « rigide » et plus « élégant » à la valse viennoise. Mais paradoxalement, ce conflit a été fertile pour la musique de danse : la concurrence entre Lanner et Strauss a stimulé la créativité et le développement de la valse. Chacun, à sa façon, a enrichi le genre, contribuant à sa diffusion et à son évolution vers la « valse viennoise » que nous connaissons.

johann strauss ILe génie de Strauss père résida dans sa capacité à transformer la structure même de ces danses rustiques. Il s’efforça, tout comme Lanner, de briser la tyrannie de la mesure à trois temps, variant ses longueurs de phrases et utilisant une orchestration brillante, la syncope et les variations rythmiques. Cette contribution est fondamentale : là où le Ländler restait prisonnier d’une structure carrée et prévisible, Strauss introduisait de la souplesse, de l’asymétrie et des surprises rythmiques.
Strauss père développa progressivement des orchestres de plus en plus fournis. Il se rendit à Berlin en 1834, à Paris en 1837 où il joua devant le roi Louis-Philippe et suscita l’admiration de Berlioz, à Londres enfin, en 1838, avec son orchestre de vingt-huit musiciens. Strauss père fut le premier véritable ambassadeur international de la valse viennoise.

Michael Pamer

Joseph Lanner, parfois appelé dans le langage populaire « Père de la valse viennoise », est considéré comme le fondateur de cette forme de danse très appréciée. Mais comme toute invention exceptionnelle, la valse viennoise a aussi un précurseur, un « grand-père » : Michael Pamer.
Vers 1813 Joseph Lanner rejoint l’orchestre de Michael Pamer, suivi par Johann Strauss père en 1819. Ainsi, les deux futurs maîtres de la valse viennoise ont appris leur métier auprès de Pamer.

Pamer venait d’une famille pauvre et était connu comme violoniste et chef d’orchestre à Roßau, quartier à l’est de Vienne. Il se produisait dans les années 1810 avec son orchestre au « Golden Birn » sur la Landstrasse, un des plus importants établissements de divertissement viennois. Il y jouait ses compositions qu’il devait parfois répéter 10 à 20 fois à la demande du public, fou de joie et d’exubérance.

michael pamerDans ses premières compositions, il incorpore encore des éléments de musique folklorique traditionnelle, ce qui montre qu’il travaillait directement à partir du Ländler rustique. Mais son apport novateur fut considérable. Son œuvre tardive contient la structure formelle de la grande valse, composée d’une introduction thématique, d’une suite de plusieurs valses et d’une coda finale. La grande innovation fut la séparation qu’il inventa entre mélodie et accompagnement rythmique. Cette innovation technique est fondamentale : elle crée la texture caractéristique de la valse viennoise avec sa basse marquée (BOM-pah-pah) distincte de la mélodie. Michael Pamer, un chef d’orchestre au nom bien oublié aujourd’hui, eut l’idée de ralentir cette danse à 3 temps et d’inviter les couples de danseurs à glisser avec grâce sur des parquets cirés et à tourner en rond. Cette transformation gestuelle, du sautillement du Ländler au glissement tournant de la valse, est attribuée à Pamer.

Vienne, capitale mondiale de la valse

Après 1815, Vienne consolide définitivement son statut de capitale de la valse. La ville développe une véritable industrie du divertissement organisée autour de cette danse. Les salles de bal se multiplient et prennent des dimensions gigantesques. Le Sperl, le Apollo, et surtout l’immense salle du Prater deviennent des institutions où plusieurs milliers de personnes peuvent valser simultanément. Ces établissements ne sont pas de simples lieux de danse, mais de véritables complexes de loisirs avec jardins, restaurants, orchestres multiples et différents espaces adaptés aux diverses classes sociales.
L’architecture même de ces lieux reflète l’importance culturelle de la valse. Les grandes salles circulaires ou ovales sont conçues spécifiquement pour faciliter le mouvement tournoyant des couples. L’acoustique est travaillée pour amplifier le son des orchestres qui peuvent compter jusqu’à trois cents musiciens lors des grands événements. L’éclairage, d’abord aux chandelles puis progressivement au gaz, crée une atmosphère féerique qui enchante les contemporains. Ces salles deviennent des espaces de mixité sociale relative où aristocrates, bourgeois et artisans se côtoient, même si des codes subtils de séparation spatiale persistent.
La pratique de la valse s’intensifie et se ritualise dans la société viennoise. Les bals publics ont lieu plusieurs fois par semaine, avec des saisons particulièrement intenses pendant le carnaval. Mais la valse envahit également les espaces privés : les familles bourgeoises organisent des soirées dansantes dans leurs salons, les associations professionnelles tiennent leurs bals annuels, les corporations étudiantes développent une culture festive où la valse occupe une place centrale. Cette omniprésence transforme la valse en marqueur identitaire viennois, élément constitutif de ce qu’on appellera plus tard la « Wiener Gemütlichkeit », cet art de vivre spécifique à la capitale autrichienne.

vienne 1820

La valse dans le reste du monde germanique

Au-delà de Vienne, la valse connaît des évolutions spécifiques dans les différents Etats allemands. A Berlin, capitale prussienne, la réception est initialement plus réservée. L’austérité protestante et militaire de la cour prussienne regarde avec une certaine méfiance cette importation autrichienne jugée trop sensuelle et désordonnée. Cependant, la bourgeoisie berlinoise, en pleine expansion économique et sociale, adopte rapidement la valse comme symbole de son aspiration à une vie culturelle raffinée.

Les compositeurs berlinois développent un style de valse légèrement différent du modèle viennois, souvent plus sobre, avec des harmonies moins chromatiques et des orchestrations plus transparentes. Néanmoins, la valse s’impose dans tous les bals de la capitale et inspire des compositeurs locaux qui créent un répertoire adapté aux goûts du public berlinois.
Munich et les villes du sud de l’Allemagne, culturellement plus proches de l’Autriche, adoptent la valse avec un enthousiasme comparable à celui de Vienne. La tradition des brasseries-jardins bavaroises intègre naturellement la valse dans leurs programmes musicaux. Les Biergarten deviennent des lieux où l’on valse en plein air les soirs d’été, créant une atmosphère de fête populaire qui démocratise encore davantage cette danse.
A Hambourg, la valse arrive par les voies maritimes et commerciales, apportée par les voyageurs et les marins. La ville développe sa propre culture de la valse, souvent teintée d’influences venues de plus loin encore, créant des hybridations intéressantes avec d’autres formes de danses européennes.

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