Les origines de la valse anglaise
Les origines de la valse anglaise
Le Boston : l’ancêtre américain de la valse anglaise
La valse anglaise est la forme moderne de l’ancien Boston, valse lente à trois temps originaire des États-Unis. Cette danse américaine représente le chaînon manquant entre la valse viennoise rapide et tourbillonnante du XIXème siècle et la valse anglaise moderne que nous connaissons aujourd’hui.
Vers 1880, aux États-Unis, le Boston fut introduit comme une valse plus lente avec de longs pas glissés, comportant moins de tours que la valse viennoise et davantage de mouvements vers l’avant et vers l’arrière. Cette transformation répondait à plusieurs besoins. D’abord, la valse viennoise, avec son tempo extrêmement rapide d’environ 55 à 60 mesures par minute, était épuisante et techniquement exigeante. Beaucoup de danseurs, particulièrement en Amérique où la tradition chorégraphique était moins développée qu’en Europe, peinaient à maintenir ce rythme effréné pendant toute une soirée de bal.
Le Boston se caractérisait par plusieurs innovations techniques importantes. Les danseurs adoptaient une position légèrement différente, moins enlacée que dans la valse viennoise traditionnelle. Les pas devenaient plus longs et plus glissants, presque marchés, avec une qualité de mouvement plus détendue et naturelle. Le tempo ralentissait considérablement, permettant aux danseurs de vraiment savourer la musique et d’exécuter des mouvements plus amples et plus expressifs.
Comme un bon nombre de danses, le Boston se heurta aux chefs religieux du XIXème siècle et ne fut accepté qu’à la condition que la main de l’homme, qui devait tenir la taille de la femme, soit pudiquement enveloppée dans un gant ou qu’au moins elle tienne un mouchoir afin que ce contact jugé osé soit moralement plus acceptable. Cette anecdote illustre la persistance des préoccupations morales concernant la proximité physique dans la danse, même à la fin du XIXème siècle et dans une société américaine qui se voulait moderne. Importé en Europe par la colonie américaine dès 1867, le Boston eut un immense impact auprès du grand public à la fin du XIXème siècle en raison de son exécution relativement simple. La simplicité relative du Boston par rapport à la valse viennoise virtuose constituait un de ses principaux attraits. Alors que maîtriser la valse viennoise exigeait des années de pratique et une excellente condition physique, le Boston pouvait être appris relativement rapidement par des danseurs amateurs, démocratisant ainsi l’accès à la danse de couple élégante.
L’adoption et la transformation britannique
En 1912, le nom du club de danseurs londoniens « the Keen Dance Society » fut changé en « boston club », témoignant de la popularité croissante de cette danse dans la capitale britannique. L’Angleterre, qui avait toujours entretenu des rapports ambivalents avec la valse depuis son introduction au début du XIXème siècle, trouvait dans le Boston une forme de valse plus conforme à ses sensibilités victoriennes tardives et édouardiennes. La société britannique du tournant du siècle, tout en étant plus libérale qu’au milieu de l’époque victorienne, maintenait encore des standards stricts de respectabilité et de décorum. Le Boston, avec son tempo plus lent et sa relative retenue par rapport à la fougue viennoise, correspondait mieux à ces attentes sociales. De plus, l’Angleterre avait développé une tradition de modification et d’adaptation des danses continentales selon ses propres normes esthétiques et morales.
Cependant, ce n’est pas le Boston lui-même qui allait survivre à long terme, mais plutôt sa transformation britannique. Les professeurs de danse anglais, toujours à la recherche de codification et de standardisation, commencèrent à expérimenter avec cette forme de valse lente, y ajoutant leurs propres innovations techniques et stylistiques.
Standardiser la valse : la révolution anglaise
La véritable naissance de la valse anglaise moderne se situe dans les années 1920, période cruciale pour la danse de salon en général. En 1921, la standardisation de la valse anglaise impliqua sa popularité l’année suivante. Cette standardisation faisait partie d’un mouvement plus large de codification des danses de salon qui se déroulait en Angleterre à cette époque.
Après la Première Guerre mondiale, la danse de salon connut une transformation radicale. Les horreurs de la guerre avaient bouleversé la société européenne, et une nouvelle génération cherchait de nouvelles formes d’expression. En Angleterre, un groupe de professeurs de danse professionnels, conscients du chaos qui régnait dans le monde de la danse avec la prolifération de styles et de techniques contradictoires, décidèrent de créer des standards uniformes.
En 1921, il fut décidé que le pas de base serait : marche, marche, assemblé. Cette décision apparemment simple représentait en réalité une rupture importante avec à la fois la valse viennoise et le Boston original. Le pas de base codifié donnait à la valse anglaise sa structure fondamentale et permettait l’enseignement systématique de la danse. En 1922, quand Victor Silvester remporta le Championnat d’Angleterre de Valse, sa chorégraphie n’était constituée que de tours à droite, de tours à gauche et de changement de direction. Victor Silvester allait devenir une figure majeure dans l’histoire de la danse de salon britannique, non seulement comme danseur champion mais aussi comme pédagogue, chef d’orchestre et auteur de manuels techniques qui feraient autorité pendant des décennies.
La simplicité relative de la chorégraphie gagnante de 1922 est frappante et témoigne du stade encore primitif de développement de la valse anglaise. Cependant, l’évolution fut rapide. En 1926-1927, la valse avait déjà beaucoup évolué, avec l’ajout de nombreuses figures et l’enrichissement considérable du vocabulaire chorégraphique.
Les caractéristiques distinctives
La valse anglaise qui émerge de ce processus de standardisation possède plusieurs caractéristiques qui la distinguent radicalement de ses ancêtres viennoise et américaine. D’abord, le tempo est considérablement ralenti. Le tempo idéal de la valse anglaise est actuellement de trente mesures à la minute, soit environ 90 battements par minute, comparé aux 180 battements ou plus de la valse viennoise. Ce ralentissement permet une qualité de mouvement complètement différente.
La valse anglaise développe ce qu’on appelle le mouvement ondulatoire ou « rise and fall », montée et descente du corps des danseurs au cours de chaque mesure. Les danseurs commencent bas sur le premier temps, s’élèvent progressivement pendant les deuxième et troisième temps, créant une qualité de mouvement fluide et ondoyante qui rappelle le mouvement d’une vague. Cette technique, absente de la valse viennoise qui privilégie un centre de gravité constant pour maintenir la rapidité des rotations, devient la signature de la valse anglaise.
Les pas sont longs et glissants, presque marchés, avec les pieds effleurant le sol plutôt que de s’en détacher nettement. Cette qualité de glisse donne à la valse anglaise son caractère élégant et majestueux. Les tours sont plus larges et plus progressifs que dans la valse viennoise, les couples se déplaçant considérablement à travers la salle plutôt que de tourner essentiellement sur place. La valse anglaise se distingue de la valse française et de la valse viennoise par ses grands déplacements sur la piste de danse et son tempo lent. Cette progression à travers l’espace, suivant ce qu’on appelle la « ligne de danse » (le sens de circulation anti-horaire autour de la piste), devient un élément fondamental de l’identité de la valse anglaise.
L’enrichissement du vocabulaire chorégraphique
Un des développements les plus importants de la valse anglaise dans les décennies suivant sa standardisation initiale est l’enrichissement considérable de son répertoire de figures. Alors que la valse viennoise reste essentiellement constituée de variations sur le thème du tour continu, la valse anglaise développe un vocabulaire chorégraphique extrêmement riche.
Des figures comme le « whisk », le « chase », le « natural turn », le « reverse turn », le « hesitation change », et des dizaines d’autres viennent enrichir les possibilités expressives de la danse. Ces figures permettent aux danseurs de créer des chorégraphies variées et sophistiquées, transformant la valse en une forme d’art chorégraphique à part entière. En 1921, les Anglais ont standardisé cette valse qui, contrairement à la valse viennoise ou la valse musette, est riche en figures qui ont été incorporées au fil des années. Cette richesse fait de la valse anglaise une danse techniquement exigeante. Paradoxalement, bien qu’elle soit plus lente que la valse viennoise, la valse anglaise est souvent considérée comme plus difficile à maîtriser vraiment en raison de la complexité de son vocabulaire et de la subtilité de sa technique.
La diffusion et l’institutionnalisation de la valse anglaise
Après sa standardisation en Angleterre dans les années 1920, la valse anglaise se diffuse progressivement à travers le monde, portée par plusieurs facteurs. D’abord, l’influence culturelle britannique, encore considérable dans l’entre-deux-guerres, facilite l’exportation de cette nouvelle forme de danse. Les colonies et dominions britanniques adoptent naturellement les standards de danse de la métropole. Elle se diffusa en Europe notamment après la Seconde Guerre mondiale. La guerre retarde la diffusion internationale de la valse anglaise, mais l’après-guerre voit une accélération de ce processus. Les organisations internationales de danse de salon, qui se structurent dans les années 1950 et 1960, adoptent les standards britanniques pour les danses de compétition, donnant à la valse anglaise (rebaptisée « valse internationale » dans les contextes compétitifs) un statut officiel mondial.
La valse anglaise devient l’une des cinq « danses standard » de la danse sportive internationale, aux côtés de la valse viennoise, du tango, du slow fox et du quickstep. Dans les compétitions, elle est traditionnellement la première danse exécutée, position d’honneur qui reflète son importance dans le canon de la danse de salon.
L’adaptation musicale
L’évolution de la valse anglaise est inséparable de l’évolution de la musique de valse au XXème siècle. Le rythme fut peu à peu ralenti pour s’adapter aux ballades et aux chansons d’amour qui firent le succès de nombreux compositeurs du XXème siècle. Les compositeurs d’entre-deux-guerres et d’après-guerre écrivent des valses plus lentes, plus lyriques, souvent teintées de nostalgie ou de romantisme doux. Cette musique convient parfaitement à la qualité de mouvement de la valse anglaise. Là où la valse viennoise sur la musique de Strauss évoquait la joie, l’exubérance, la fête, la valse anglaise sur les ballades modernes évoque l’élégance tranquille, le romantisme contenu, la grâce intemporelle. Des compositeurs comme Émile Waldteufel en France ou des auteurs de musique de film hollywoodiens créent un répertoire de valses lentes qui devient le patrimoine musical de la valse anglaise.
Le tempo de 90 battements par minute, environ deux fois plus lent que la valse viennoise, permet aux musiciens d’explorer des harmonies plus riches, des mélodies plus développées. La valse anglaise musicale peut se permettre des nuances, des ralentissements expressifs, des moments de suspension impossibles à réaliser dans le tourbillon de la valse viennoise.
La valse anglaise comme patrimoine vivant
Aujourd’hui, plus d’un siècle après sa standardisation initiale, la valse anglaise demeure une des danses de salon les plus populaires et les plus pratiquées au monde. Elle occupe une place particulière dans l’imaginaire collectif, associée aux mariages, aux bals de débutantes, aux grandes occasions formelles. Le moment de la « première danse » lors d’un mariage est souvent une valse anglaise, perpétuant une tradition qui remonte aux bals aristocratiques du XIXème siècle tout en utilisant une forme chorégraphique créée au XXème siècle.
Dans les compétitions internationales de danse sportive, la valse anglaise reste une épreuve majeure, jugée sur des critères techniques extrêmement précis : qualité du mouvement ondulatoire, fluidité des déplacements, maintien de la posture, connexion entre les partenaires, musicalité, expression artistique. Les danseurs compétitifs consacrent des milliers d’heures à perfectionner leur technique de valse anglaise.
Mais au-delà du monde compétitif, la valse anglaise reste également vivante comme danse sociale. Des clubs de danse de salon dans le monde entier enseignent la valse anglaise à des milliers d’amateurs chaque année. Sa relative accessibilité par rapport à d’autres danses standard, combinée à son élégance intrinsèque, en fait un choix populaire pour les débutants comme pour les danseurs expérimentés.