Palos et cantas : les bases de la danse flamenco

Le Flamenco a cette faculté de pouvoir tout exprimer, de pouvoir faire ressentir tous les sentiments humains : la passion furieuse, l’amour d’une mère, le poids de la mort, la douleur, la résignation, la douceur, la joie, l’amour inconditionnel … pour exprimer tout cela, Il existe de nombreuses styles musicaux (palos) et chants (cantes), constitués de cadres rythmiques (compás) propre à chacun d’eux. Le style s’applique aussi bien à la danse, au chant qu’à l’accompagnement à la guitare. La danse flamenco va varier suivant le palo car chacun à sa personnalité spécifique. Il existe plus de 50 palos dans l’histoire du flamenco. Ici sont regroupés certains des palos les plus couramment chantés, joués et dansés, mais chaque famille en comprend de nombreuses autres variantes.

Cante Jondo

Toná

La toná est connue comme la mère de tous les chants flamencos. Elle se compose de quatre vers de huit syllabes chacun. Elle traite de thèmes liés à l’oppression et à la vie tumultueuse des Gitanos. La toná a donné naissance à d’autres palos comme le martinete, les carceleras, et la deblá, un cante au contenu religieux. Apparu au XVIIIe siècle, ce style s’est développé au cours des XVIIIe et XIXe siècles, principalement dans les forges de Jerez de la Frontera, à Cadix, et dans le quartier de Triana à Séville. La toná est issue des balades espagnoles et constitue le fondement du flamenco. Elle est libre sur le plan rythmique et est considérée comme un palo seco, c’est-à-dire chantée a cappella. En tant que forme souvent interprétée sans accompagnement, elle ne suit pas de compás (rythme) spécifique, bien que certains musiciens contemporains utilisent le rythme à douze temps de la soleá pour la performer. La danse suit le texte et l’expression du chant, c’est une interprétation libre. Malgré tout, la toná n’est pas un palo très adapté à la danse.

Martinete et Carceleras

Le martinete et les carceleras sont des cousins de la toná et appartiennent à la même famille du cante jondo. Bien qu’ils soient souvent interprétés a palo seco (sans accompagnement instrumental), un enclume est utilisée pour marquer le tempo lors des performances, en référence aux forgerons des grottes andalouses. À l’origine, le martinete ne suivait pas de compás (rythme) strict, mais lorsqu’il a été adapté à la scène, il a commencé à suivre le compás de la siguiriya. Les couplets ou strophes du martinete se composent de quatre vers de huit syllabes, avec une rime assonante de type abcb. Les thèmes abordés dans ces chants concernent l’emprisonnement ou la persécution des Gitanos. Le martinete et les carceleras sont donc similaires au cante de la toná.

Siguiriya

Les siguiriyas (aussi appelées seguriyas ou seguidilla gitana) font partie de la famille du cante jondo. Elles sont similaires aux tonás dans la mesure où elles peuvent être interprétées a palo seco, mais elles sont connues comme une adaptation gitane d’une forme musicale classique espagnole. Les thèmes abordés sont la perte, l’amour, le chagrin, la maladie, les membres de la famille mourants et les tragédies de la vie. Les letras (paroles) sont composées de quatre vers : les vers 1 et 3 comptent 7 syllabes, tandis que les vers 2 et 4 en comptent 5. Les origines de ce cante remontent à la première moitié du XIXe siècle, lorsqu’il était connu sous le nom de playeras. La théorie la plus répandue explique que ce nom provient des plañideras, des femmes (gitanes pour la plupart) qui étaient engagées pour assister à un enterrement et y pleurer ou chanter. Cependant, on ne peut parler des seguiriyas comme d’un style flamenco avant la seconde moitié du XIXe siècle, lorsqu’elles ont été adaptées aux codes musicaux flamencos au contact d’autres chants dits « gitans ». En ce qui concerne la danse, nous pouvons affirmer qu’il s’agit d’un style récent puisqu’il a été créé par Vicente Escudero en 1939.
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Cante intermedio

Caña et Polo

La caña et le polo sont des formes anciennes mentionnées aux XVIIIe et XIXe siècles, et appartiennent à la catégorie du cante intermedio. Les différences entre les deux sont minimes, c’est pourquoi elles sont regroupées dans la même famille. Leurs caractéristiques communes prédominent : toutes deux sont chantées selon une forme rigide composée d’un couplet de quatre vers, avec un ay ! répété en séquence, ressemblant à un refrain, après le deuxième et le quatrième vers. Le style de la soleá est né de la caña et du polo, mais il est aujourd’hui bien plus populaire. Cependant, lorsqu’ils sont dansés, la caña et le polo n’ont plus le caractère lourd qu’ils avaient autrefois. Leur style est beaucoup plus léger, et leur nature dramatique moins marquée. Les letras (paroles) abordent des thèmes de douleur ou d’amour.

Soleá

La soleá est un style de flamenco qui relève de la catégorie du cante intermedio. C’est un style plus autonome que la siguiriya, ce qui lui confère une certaine harmonie. Le terme soleá vient du mot espagnol soledad, qui signifie solitude. Cependant, la soleá aborde aussi des aspects liés à l’amour. La Soleá (qui vient du mot espagnol soledad, qui signifie solitude) est un style dont le nom reflète le sentiment de solitude et d’introspection qu’il imprime. Les paroles utilisées dans ce cante font généralement référence à un type de deuil très spécifique. Un chagrin causé par une perte, ne faisant pas nécessairement référence à la mort -. La soleá, que ce soit en dansant, en chantant ou en jouant, cherche à nous libérer des souvenirs qui génèrent de la douleur ou des conflits internes. C’est un style sérieux, qui recherche la catharsis pour l’artiste et le public. Les letras (paroles) se composent de 3 ou 4 vers de 8 syllabes, et le rythme est en ¾. La soleá a posé les bases de styles comme les bulerías, les alboreás et la soleá por bulerías.

Bulería

La bulería est à la fois un palo (style) et un rythme flamenco. Elle remonte au XIXe siècle et serait originaire de Jerez, en Andalousie. Ce rythme a souvent été ajouté à la fin des soleares et des alegrías. La bulería tire son nom des mots espagnols burlar et bullería, qui signifient littéralement se moquer et faire du bruit. C’est cette énergie espiègle qui est toujours présente dans ce style, et le chanteur peut utiliser des paroles qui peuvent être de tout type : La bulería offre le plus grand espace d’improvisation. C’est un palo rapide, et le chanteur, le guitariste et le danseur doivent faire preuve de précision et de vitesse au sein d’un rythme complexe. Tous les styles demandent de la technique, de la musicalité et de l’agilité, mais la bulería se distingue par l’élan et la dextérité qu’elle exige. C’est un palo technique, qui demande aussi une certaine malice et créativité dans le cadre du compás. Les letras (paroles) se composent généralement de trois ou quatre vers de huit syllabes. C’est généralement la danse par laquelle se termine une juerga flamenca et elle est facilement reconnaissable tant pour les plus avertis que pour ceux qui connaissent peu le flamenco. C’est le moment où les artistes forment un demi-cercle et sortent un par un pour danser une partie de la pièce.
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Cante Chico

Tango

Si les siguiriyas sont consumées par les thèmes tragiques de la vie, et que la soleá est un palo beaucoup plus équilibré, alors les tangos se situent à l’opposé du spectre émotionnel. Ils représentent une forme festive, humoristique, et presque légère. Les tangos ont donné naissance aux tientos et aux tanguillos. Le tango est un chant et une danse festive, et ses deux facettes sont le tanguillo, humoristique et frivole, et les tientos, sérieux et solennels. Les tangos et leurs deux « enfants » traversent toutes les nuances de l’ironie. Le tango suit une phrase de 8 temps et un rythme en 4/4. Il est courant d’enchaîner les tientos avec les tangos, qui viennent alors clore le morceau, un peu à la manière de la soleá por bulería. Le tango espagnol ne doit pas être confondu avec le tango argentin : il n’y a aucun lien entre les deux. Le tango se caractérise principalement par son schéma rythmique qui, selon les dernières recherches, provient des esclaves de Santiago de Cuba. Ils ont développé le motif au début du 19ème siècle, arrivant à Cadix sous le nom de « tango americano », très différent de ce que nous connaissons aujourd’hui comme tango flamenco. C’est à cette époque qu’il a été introduit comme numéro dans les œuvres de la zarzuela, acquérant ainsi une importante notoriété. Plus tard, le tango ou « tanguillo » de Cadix, connu aujourd’hui pour son utilisation dans les carnavals, a été développé et ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle qu’il a été adapté aux codes esthétiques et musicaux du genre flamenco, devenant ainsi un style jusqu’au XXe siècle.

Tiento

Les tientos sont les cousins des tangos. Ils sont souvent enchaînés à la fin d’un tango, de manière similaire à la bulería qui conclut parfois une soleá. Les tientos se distinguent des tangos par leurs thèmes amoureux et leur caractère plus lent et plus solennel. Ils sont joués en mesure 2/4. Le mot tientos vient du verbe espagnol tentar, qui signifie « essayer », et était à l’origine utilisé pour parler des essais d’instruments de musique. Les letras (paroles) des tientos se composent souvent de 3 ou 4 vers de 8 syllabes.

Alegría

Les alegrías appartiennent à une famille appelée les cantiñas, qui sont de loin les styles les plus joyeux et répandus. Les alegrías sont originaires de Cadix, et ce style a été spécifiquement créé pour la danse. Elles sont en mesure 3/4 et ont une cadence festive. Le caractère des alegrías est unique, et jusqu’au XIXe siècle, elles étaient considérées comme le prototype du cante chico (forme légère et joyeuse du flamenco). Aujourd’hui, elles sont aussi populaires que la bulería. C’est l’un des styles les plus importants du flamenco, tant pour le chant que pour le jeu et, surtout, la danse, à partir duquel se sont cristallisés les autres styles de danse. Les études les plus récentes [de chercheurs tels que Guillermo Castro ou Faustino Núñez] affirment que ce palo partage des éléments avec la jota, un genre populaire espagnol en effervescence de la seconde moitié du XVIIIe siècle à la première moitié du XXe siècle. Nous trouvons également des antécédents dans des éléments d’autres genres populaires tels que les panaderos gaditanos, les coplas romanceadas ou, surtout, les jaleos du XIXe siècle. Nous trouvons les premières nouvelles d’Alegrías en 1867, ce qui nous permet de les situer chronologiquement dans la seconde moitié du XIXe siècle.

Fandango

Les fandangos font partie du cante chico, mais constituent un cas à part. Les fandangos ont été influencés par les danses folkloriques du nord de l’Espagne ainsi que par le cante portugais connu sous le nom de fado. Bien que ce palo fasse l’objet de nombreux débats, certains pensent que le fandango a des racines mauresques et aurait pu apparaître en Espagne dès le XVIIe siècle, bien que cela n’ait pas été prouvé. Les letras (paroles) des fandangos sont souvent rurales, traitant de thèmes comme la récolte des champs, la pêche, ou encore l’orgueil. Le fandango est en rythme 3/4, c’est un style festif, joyeux, qui peut être dansé en couple, accompagné de castagnettes, guitare et chant interprété par les danseurs eux-mêmes. À la fin de certaines mesures, la musique s’interrompt brusquement, et les danseurs restent figés jusqu’à ce que la musique reprenne. Cependant, comme dans beaucoup d’autres palos, il y a toujours une place pour l’individualité dans l’interprétation du chant et de la danse.
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