Salsa colombienne (style Cali)
Les origines de la salsa colombienne
Dans les années 1950 et 1960, alors que la salsa elle-même fait ses premiers pas (d’abord appelée « musique afro-cubaine »), Cali adopte ces nouvelles sonorités via la radio et les disques importés. Des soirées sans alcool appelées « aguaelulo » voient les jeunes danser sur du mambo, du charleston ou des rythmes caribéens. L’explosion de 1956, qui a endommagé la ville, conduit les autorités à lancer les ferias de la canne à sucre pour redynamiser l’économie locale. Ces fêtes finissent par intégrer la salsa comme élément central. A partir de la fin des années 1960, l’influence musicale de la diaspora (salseros colombo-américains à New York) apporte plus de salsa à Cali. Les premiers clubs de salsa ouvrent et les écoles de danse apparaissent. La salsa caleña prend forme à travers les danses communautaires : les pas de base s’inspirent de la cumbia (danse nationale colombienne), avec des marches arrière entrecoupées de coups de pied et de mouvements de hanche. Peu à peu, la vie culturelle de Cali s’organise autour de cette danse : la ville vit au rythme de la salsa, on l’entend dans chaque parc et chaque fête, et les compétitions amicales s’installent dans les quartiers.
Dans les années 1970 et 1980, on assiste à l’« âge d’or » de la salsa caleña. Les grandes fêtes annuelles comme la Feria de Cali intègrent le Salsódromo, un magnifique défilé de milliers de danseurs costumés dans les rues. C’est l’époque où Cali accueille les stars internationales de la salsa (Fania All-Stars, Willie Colón, Oscar D’León…) et où de nombreux orchestres locaux (Grupo Niche, Willy García, Guayacán) se font connaître. Sur le plan chorégraphique, les premières troupes et écoles se forment. En 1974, le premier festival mondial de salsa organisé à Cali couronne un couple local, Watusi et Maria. La même année, des figures légendaires comme Jimmy « Boogaloo » Zea et Amparo Arrebato fondent le Ballet de Salsa de Cali, le premier groupe professionnel de danse salsa de la ville. D’autres visionnaires émergent : Raul Ramírez (Estrellas de la Salsa), les jumeaux Alonso et Fernando Caicedo (Los Mellizos), ou encore des collectifs comme Pioneros del Ritmo (Diego Rojas) et Ballet Azúcar. Ces pionniers importent dans leurs chorégraphies la virtuosité des pas de jazz ou de charleston et les premières acrobaties. Ainsi évolue un style de plus en plus sophistiqué, où les danseurs multiplient sauts, portés et jeux de jambes complexes pour impressionner le public.
Les pionniers contemporains et Swing Latino
Dans les années 1990 et 2000, la salsa caleña se professionnalise. En 1998, Luis Eduardo Hernández « El Mulato », issu des générations précédentes, fonde l’école Swing Latino. Cette troupe devient rapidement la plus renommée du monde pour le style de Cali. Swing Latino innove en mélangeant au répertoire caleño des éléments tirés du tango, du hip-hop, et en popularisant les acrobaties spectaculaires. Les danseurs teignent leurs cheveux, réalisent des saltos, des portés vertigineux et un alignement parfait lors des enchaînements. L’école remporte dix fois le titre de championne du monde de salsa, preuve de sa maîtrise technique. En 2020, ses artistes sont même invités à la mi-temps du Super Bowl aux États-Unis, dans le show de Jennifer Lopez et Shakira, montrant l’impact global du style. D’autres écoles comme Imperio Juvenil (dirigée par Adrián y Jefferson) continuent également à représenter fièrement Cali sur la scène mondiale, remportant eux aussi des compétitions internationales. Grâce à ces troupes, le style caleño est aujourd’hui associé à la notion de virtuosité maximale : on attend des danseurs qu’ils soient à la fois techniques et énergiques, prêts à défier les lois de la gravité sur la piste.Caractéristiques du style caleño
La salsa caleña se reconnaît d’abord à son énergie et sa rapidité. Voici quelques traits distinctifs du style :
• Jeu de jambes vif et complexe : Les danseurs caleños exécutent des combinaisons de pas très rapides, inspirées en partie de la cumbia (glissés, kicks, petits sauts). Le rythme ne s’arrête jamais, ce qui exige endurance et précision.
• Tempo élevé : En général, on joue la musique salsa à Cali plus vite qu’ailleurs. Il est souvent dit que, dans certains clubs, des DJ faisaient tourner les disques plus vite pour amuser la galerie. Les danseurs ont relevé le défi en accélérant leur cadence, ce qui a donné au style sa signature frénétique.
• Shines (séquences solos) : Plutôt que de rester constamment en rotation dans le couple, les danseurs intègrent fréquemment des moments de « shine », où chacun réalise en solo ses figures les plus spectaculaires. Cela met en valeur l’agilité individuelle, les pas pointus au sol, et la musicalité personnelle.
• Acrobaties et portés : Une autre marque de fabrique caleña réside dans les figures acrobatiques. On voit souvent des portés athlétiques, des sauts périlleux et des passes élaborées dans les chorégraphies de danseurs avancés. Ces acrobaties renforcent l’aspect spectaculaire et moderne de la danse.
• Posture dynamique : Pendant qu’ils bougent les jambes à toute vitesse, les danseurs maintiennent un haut du corps plutôt stable. Les épaules sont horizontales, le buste droit, ce qui contraste avec l’exubérance des pieds. Cette posture sobre permet de mieux contrôler les mouvements complexes des jambes.
La salsa caleña est un vrai numéro d’équilibriste rythmique : elle met l’accent sur la virtuosité des pieds et la précision technique, dans une ambiance festive. C’est ce qui la distingue nettement de la salsa cubaine (où l’on utilise beaucoup les tours du couple et les mouvements circulaires) ou de la salsa portoricaine (axée sur le « on 2 » et les passes linéaires).
L’impact international de la salsa colombienne
Pendant plusieurs décennies, la salsa caleña est restée largement confinée à la Colombie. Elle connaît cependant depuis les années 2000 un début de diffusion internationale. L’essor des compétitions de danse salsa dans le monde a mis en lumière les talents colombiens, qui dominent souvent les podiums. Les vidéos de troupes comme Swing Latino ou Imperio Juvenil postées sur Internet ont inspiré de jeunes danseurs aux quatre coins du globe. On voit désormais des écoles de salsa de style cali émerger en Amérique latine (en Équateur, au Venezuela par exemple) et dans certains pays d’Amérique du Nord et d’Europe. Néanmoins, le marché reste encore minoritaire par rapport aux styles cubain ou portoricain. On considère souvent Cali comme la « capitale mondiale de la salsa », tant la ville concentre son identité autour de cette danse. Chaque année, la Feria de Cali (fin décembre) réunit plus d’un millier de danseurs pour la grande parade du Salsódromo, perpétuant la tradition. Cette exposition renforce la renommée mondiale du style.
Popularité du style Cali en France et dans le monde
En France, la salsa caleña est une tendance plus récente. Dans les années 1990-2000, les passionnés de salsa se sont d’abord tournés vers les styles cubain et portoricain, très en vogue grâce aux mouvements de danse latine. Ce n’est qu’à partir des années 2010 que le style de Cali commence à se faire connaître parmi les francophones. Plusieurs facteurs expliquent cet essor : l’accessibilité de contenus sur internet, et la venue d’instructeurs formés en Colombie. De nombreuses autres villes françaises ont suivi : on trouve aujourd’hui des cours de salsa caleña à Paris, Lyon, Marseille, Lille, Nice, Nantes, Rouen, Reims… Chaque grande école de danse latine intègre désormais ce cursus en complément de la salsa cubaine ou portoricaine.
Plusieurs festivals de salsa en France intègrent aussi des ateliers de style caleño. Par exemple, le All Salsa Festival de Lyon invite chaque année des professeurs colombiens pour enseigner ces pas rapides. Des événements locaux (soirées dédiées au « Boogaloo Caleño », congress de danse latine, battles de danse) mettent en lumière ce style auprès du public. La compétition suit également : le Championnat de France de salsa propose désormais une catégorie « salsa caleña » en couple, révélant des duos français formés dans ce répertoire.
La popularité de la salsa caleña en France grandit doucement mais sûrement. Les danseurs, jeunes et moins jeunes, y voient l’opportunité de se lancer un défi technique dans un cadre festif. Les débutants apprécient le côté amusant des jeux de jambes, tandis que les initiés adorent la possibilité de progresser avec des figures de plus en plus complexes. Au fil du temps, la communauté « calena » française se développe : des réseaux sociaux spécifiques se créent, des stages intenses voient le jour, et même des compétitions locales dédiées apparentes dans l’hexagone. La France n’est pas le seul pays concerné : d’autres nations européennes (notamment l’Espagne, l’Italie, la Belgique) observent aussi un regain d’intérêt pour le style colombien, souvent relayé par la présence de professeurs issus de la Colombie. Mais c’est bien en France que la salsa caleña s’ancre fortement, grâce à l’enthousiasme des clubs de danse et au goût prononcé des Français pour la diversité culturelle.
Aujourd’hui, la salsa colombienne (style de Cali) se lit comme une histoire qui continue de s’écrire : ancrée dans les traditions de l’Âge d’or des années 80 à Cali et enrichie par la créativité de ses nouvelles générations, elle reste une danse vivante, ouverte aux expérimentations. Les passionnés de salsa, qu’ils soient originaires de Colombie ou non, y trouvent un moyen d’expression exaltant. Chaque pas de danse raconte un peu de l’histoire des Caleños, l’ardeur à célébrer la vie malgré les épreuves. En France comme dans le monde, cette cadence trépidante séduit et rassemble, confirmant que la « salsa caleña » a réussi son pari : faire vibrer toutes les pistes de danse au rythme de son cœur colombien.